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 Ressources philosophiques | Dossier
 l'existence & le temps

édition originale 04-08-2003
actualisée le 13-12-2008

Notions

Existence : lorsque nous disons que le Père Noël n'existe pas (non, non, il n'existe pas !), nous voulons dire qu'il n'a pas de réalité. L'existence, en ce premier sens, n'est rien d'autre que le fait d'être, ou plus exactement d'être en soi, c'est-à-dire indépendamment de l'idée que nous pouvons en avoir : nous avons une idée du Père Noël, qui n'existe pas, mais nous n'avons certainement pas l'idée de tout ce qui existe, et qui, pourtant, existe. Le mot existence a cependant pris, depuis Kierkegaard (au XIXe s.), un sens bien plus restreint : l'existence désigne en effet « le mouvement par lequel l'homme est au monde, s'engage dans une situation physique et sociale qui devient son point de vue sur le monde » (Merleau-Ponty). Exister, c'est alors être au sens humain du terme, et seul l'être humain est un existant, au sens où l'existence est « ce que je suis fondamentalement pour moi » (Jaspers) : exister, c'est donc être non seulement en soi (comme les choses), mais aussi pour soi, c'est-à-dire en face de soi. La caractéristique propre de l'existant, en ce sens, est donc toujours la pensée, facteur de présence intentionnelle : l'homme, comme existant, n'est pas seulement (comme les choses) un être-dans-le-monde, il est aussi et avant tout un être-au-monde.

Temps : on peut remarquer que le mot temps (en français comme du reste en latin tempus) peut désigner le temps en totalité, ou bien une partie seulement du temps. Dans ce dernier cas, temps est synonyme de durée, de période, ou d'époque. Mais bien sûr, durée, période, ou époque ne sont jamais que des parties du temps, comme un lieu n'est jamais qu'une portion d'espace. La vraie question est donc de savoir ce qu'est le temps dans le premier sens. Or tout le monde sait bien ce que c'est que le temps ! Cependant Saint-Augustin remarque : « Si personne ne me le demande, je le sais : mais que je veuille l'expliquer à la demande, je ne le sais pas ! ». Nous aurions donc une intuition du temps (nous saisirions immédiatement de quoi il retourne quand il en est question) sans pour autant être en mesure d'en exposer clairement le concept.

Repères

un cours sur l'existence & le temps...
cours

 I - L'ENIGME DU TEMPS :

Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer la difficulté de cerner le concept de temps :

1.

LE TEMPS COMME MESURE ET LA MESURE DU TEMPS
  • Nous avons besoin du temps pour mesurer le mouvement, mais nous avons également besoin du mouvement pour mesurer le temps ! Ainsi, c'est la rotation terrestre qui mesure le temps (en permettant son découpage en jours et en heures), mais on ne peut oublier qu'on ne peut mesurer la vitesse de la rotation terrestre que grâce au temps. « Nous mesurons, écrit Aristote, non seulement le mouvement par le temps, mais aussi le temps par le mouvement, parce qu'il se déterminent réciproquement ; car le temps détermine le mouvement dont il est nombre, et le mouvement, le temps » (Physique, 220b). Platon se trompait donc, pense Aristote, lorsqu'il assimilait le temps au mouvement. Le mouvement mesure le temps (= la durée), le temps nombre le mouvement.
  • Mais la plus grande difficulté, pour définir le temps, c'est sans doute que toute définition du temps engage subrepticement que nous comprenions le temps : définir le temps revient en effet à définir un principe, c'est-à-dire une proposition qui n'a pas à être définie ! Par exemple, dire qu'il est « le nombre du mouvement selon l'antérieur et le postérieur » (Aristote), n'est-ce pas définir le temps en faisant appel au temps ? Pour être comprise, l'antériorité / postériorité des instants qui composent le temps ne suppose-t-elle pas en effet le temps ? Comment puis-je comprendre <antérieur> et <postérieur> si je ne possède pas déjà en moi la notion du temps ? Toute définition liminaire du temps semble par conséquent impossible. Par suite, ne faudrait-il pas, lorsque nous parlons du temps, nous contenter de « ce que tout le monde comprend naturellement par ce mot » (Pascal, De l'esprit géométrique) ?

2.

TEMPS DIMENSIONNEL et TEMPS PROCESSIF :

  1. Le temps peut être pensé comme une dimension. Il est alors vu comme le milieu universel et immobile du changement : passé, présent et futur sont à considérer comme des parties d'un même temps, et les événements se produisent dans le temps, exactement comme ils se produisent dans l'espace. Il faut noter cependant une différence essentielle entre le temps et l'espace, car si les parties de l'espace, extérieures les unes aux autres, coexistent (les "lieux" sont les uns à côté des autres), en revanche les parties du temps (= les moments) se succèdent sans coexister : « Le temps est l'ordre des successifs mais qui ont entre eux de la connexion » (Leibniz).

  2. Mais le temps peut aussi être pensé comme un processus. Il est alors à comprendre comme le passage irréversible de l'avenir au présent et du présent au passé : le temps est avènement continuellement renouvelé du présent. En effet, ce dernier, à proprement parler, n'existe pas, puisqu'il ne subsiste pas : le présent ne reste pas, il est sans durée. Or exister, c'est durer : c'est donc précisément cette non subsistance de l'instant présent qui définit le temps comme passage (du présent au passé, et de l'avenir au présent), et en fait aussi la condition du devenir (le temps est le vecteur du changement), et même de l'advenir, dans la mesure où on le définit comme « le moyen donné à ce qui sera d'être afin de n'être plus » (Charles Péguy).

3.

TEMPS OBJECTIF et TEMPS SUBJECTIF :

  1. Le temps est manifestement quelque chose d'objectif : le temps est en effet le même pour moi et pour vous. Même si, comme le dit avec humour le physicien John Wheeler, « le temps est le moyen qu'a trouvé la Nature pour que tout ne se passe pas au même moment », tout se passe pourtant dans un même temps, qui, pour ainsi dire, s'écoule à la même vitesse : jamais, par exemple, le fils n'aura l'âge de son père en même temps que son père, et les choses changent dans l'univers même si je n'en ai pas conscience ou si aucun esprit ne pense aucune de ces choses qui changent. De ce réalisme, les horloges donnent une assez bonne image : celle d'un temps physique universel, objectif (= indépendant de la pensée ou du vécu), homogène et uniforme.

  2. Mais le temps est tout aussi manifestement quelque chose de subjectif :
    • le temps ne "passe" peut-être pas nécessairement aussi vite ou aussi lentement pour vous que pour moi. Il est donc indissociable de la perception que nous en avons. Le temps, d'ailleurs, est composé de parties dont, au sens strict, aucune n'existe objectivement : le passé, en effet, n'existe pas puisqu'il n'existe plus ; l'avenir n'existe pas non plus, puisqu'il n'existe pas encore. Reste le présent... mais justement, le présent ne reste pas : il faut bien que le temps passe, comme on dit, ou plutôt que le présent passe, car le temps présent, « s'il était toujours présent sans passer au passé, [...] ne serait plus le temps mais l'éternité » ( Saint-Augustin encore). Par suite, il n'y a objectivement qu'un présent sans cesse fuyant, et par suite, le temps (passé - présent - avenir) ne peut avoir de réalité que pour la pensée, que pour un esprit capable de se souvenir du passé, d'être attentif au présent, et d'anticiper l'avenir... Et puisque tous les esprits diffèrent, l'un s'ennuyant (il lui semble que le temps n'en finit pas de passer) tandis que l'autre s'amuse (il ne voit pas le temps passer), le temps n'est pas le même pour tous. Ce temps psychique - ou temps vécu - variable selon les individus, et pour chaque individu selon l'occupation, ce temps subjectif n'a-t-il pas, paradoxalement, plus de réalité que le temps objectif des physiciens ?

    • Dans un autre sens encore, le temps est « la forme du sens interne » (Kant), c'est-à-dire la condition a priori de la vie subjective, et donc de la perception de tous les phénomènes en général, c'est-à-dire des choses extérieures comme de nos états intérieurs - dont nous faisons l'expérience sous forme du temps subjectivement vécu dont nous venons de parler. Là encore, par conséquent, il faudrait reconnaître que « le temps n'est pas quelque chose qui existe en soi ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective » (Kant) : le temps n'est pas le cadre absolu et objectif des événements, mais la condition de possibilité de la perception pour autant que toute perception suppose un horizon temporel, un "maintenant" particulier qui suppose la temporalité tout entière.

4.

INSTANT CONÇU et DUREE VECUE :

Il y aurait donc "deux temps", dont l'un, objectif, serait celui de la science et des horloges, tandis que l'autre, subjectif, serait celui de la conscience. A y regarder de plus près, c'est le statut du présent qui décide du temps auquel on a affaire :

  1. En effet, le temps conçu par les physiciens est abstrait. Personne, en effet, ne vit dans un tel temps sans "épaisseur" dans lequel le présent est sans durée. Car même s'ils se succèdent au lieu de se cotoyer, les instants qui composent ce temps sont comme des points sans "épaisseur", c'est-à-dire sans durée : le présent du temps physique est conçu comme la limite mathématique entre le passé et l'avenir. Cette conception géométrique apparente donc le temps à l'espace.

  2. Le présent vécu, au contraire, n'est jamais sans "épaisseur", car le vécu est le vécu de la conscience, « véritable trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera » (Bergson) : comme on peut aisément le comprendre en observant comment nous pouvons écouter une mélodie (Bergson), le présent concrètement vécu par la conscience est toujours appuyé sur un passé immédiat et penché sur un avenir imminent. Il n'est donc jamais "ponctuel". Ainsi, le temps psychologique concret de la conscience est toujours liaison continue des instants : le présent véritable serait donc présence existentielle, et le temps vécu (ou durée au sens bergsonien) incarnerait ainsi la vraie temporalité.

    ...Selon Bergson, en effet, cette opposition entre le temps conçu abstraitement par la connaissance (= le temps physique) et le temps concrètement vécu par la conscience (= le temps psychologique) a une signification profonde : le temps physique, pourtant "objectif", est en effet le temps des physiciens, dont la science vise l'action, l'utilité, et non pas la vérité.

II -

DE L'EXISTENCE DU TEMPS AU TEMPS DE L'EXISTENCE :

Il est sans doute juste de dire que le temps « emporte tout ». Pourtant, l'adhésion de l'homme au présent, qui continuellement "avance" engendrant ainsi le mouvement incessant du temps, n'est jamais entière : en se situant dans le temps, en étant capable de penser le temps, à travers le souvenir aussi bien que dans le projet, la conscience transcende le présent, et de cette façon, partiellement, y échappe. Avoir conscience du temps nous épargne dans cette mesure d'être purement et simplement emporté par le temps : cette position en surplomb est le signe que la conscience refuse d'être victime du temps.

En d'autres termes, l'animal est vivant, mais l'homme, parce qu'il est sujet conscient, est un existant. En effet, exister, littéralement, c'est être « hors de » (ex-ister); c'est être disjoint : le temps est « ...une certaine distension » (Saint Augustin). Nous n'existons réellement que dans et par cette disjonction, et pour nous, sujets, le temps est donc « le sens de la vie ; sens comme on dit le sens d'une phrase, le sens d'une étoffe, le sens de l'odorat. » (Paul Claudel, Art poétique) : le temps signifie cette vie, il en est la trame et le réceptacle.

1. Existence et essence

Exister, en un sens, est synonyme d'être. Pourtant, ces notions méritent d'être différenciées :

  1. L'être en tant qu'être

L'être, c'est alors le tout, l'être en totalité, ou la totalité de ce qui est, la "substance". C'est lui que la métaphysique, depuis l'Antiquité, cherche à caractériser. Ce faisant, elle se heurte toujours à deux difficultés, qui sont peut-être insurmontables :

    1. Toute définition de l'être fait appel à l'être - par exemple, si je dis « l'être est un, immobile, invariable », ou si je dis, au contraire qu' « il est devenir, mobilité, contrariété » : toute définition de l'être semble circulaire. Ce premier problème est peut-être le signe d'une impossibilité...

    2. L'être, en effet, est-il accessible à la pensée ? Est-il même identifiable à un véritable concept ? Descartes le premier mettra en doute la possibilité de tenir un discours général sur l'être, en proposant de recentrer la réflexion sur le sujet épistémologique (le JE du je pense). Kant ira plus loin en considérant que les prétentions de l'ontologie (= discours sur l'être) sont illégitimes : nous ne pouvons connaître l'être en soi ; notre constitution subjective ne nous permet pas d'aller au-delà des phénomènes (manifestations sensibles de l'être en soi). Plus radicalement encore, le positivisme (Auguste Comte) fera de la science la nouvelle philosophie, et considérera le discours sur l'être comme un discours abstrait, vide, creux.

    3. Pourtant, tout en prenant acte de l'échec de la métaphysique, Heidegger considèrera qu'elle a sans cesse confondu l'être et l'étant (l'étant = la nature, ou encore Dieu, qui ne sont pas l'être, mais des êtres...) dans un formidable « oubli de l'être ». Selon Heidegger, l'être est sans doute indicible, et pourtant, l'homme est ouverture à l'être : on ne peut donc pas, à proprement parler, en dire « quelque chose », mais nous pouvons nous mettre à son écoute dans une sorte de recueillement, de « retrait ».
  1. L'être comme essence
    1. L'être de l'arbre, c'est sa nature, sa définition, ou encore son essence. L'être désigne donc précisément, dans ce sens, non pas une chose (l'essence d'un arbre n'est pas un arbre), mais ce qu'une chose a d'essentiel, ce sans quoi elle ne serait pas ce qu'elle est. Toute autre détermination de la chose doit être tenue pour accidentelle. P.ex., « l'homme est un animal politique » est bien − selon Aristote − une définition de l'être de l'homme, de son essence. Ce n'est pas le cas si l'on dit que « Socrate est debout », car Socrate, bien sûr, est encore Socrate lorsqu'il est assis.

    2. Il est remarquable qu'une chose ne puisse pas être sans être « ceci » ou « cela » ... Mais il est plus remarquable encore qu'une essence puisse ne pas être, ne correspondre à aucun être, à aucune réalité existante, à aucun fait. Par exemple, on peut définir la justice, c'est-à-dire l'essence de la justice, mais on peut soutenir que la justice ainsi définie est avant tout une idée, en comprenant par là qu'elle n'est pas réalisée. Plus radicalement, l'essence d'une chose doit donc être entendue comme idée. Ainsi, les mathématiques, dit Husserl, sont la science des essences par excellence : les "êtres" mathématiques (= figures, nombres...) sont des essences, mais à strictement parler "n'existent pas" (Husserl).

    3. Cependant, que vaut l'essence si aucun être ne la possède ? L'être, n'est-ce pas le réel (qui existe effectivement), c'est-à-dire l'existence, plutôt que l'essence ?
  1. De l'essence à l'existence
    1. L'être c'est en effet ce qui est, alors que l'essence n'est que possibilité ou nécessité logique, au mieux un "être de raison", tel une notion morale idéale. Par exemple, l'être de la justice, c'est plutôt la justice effective que l'idée de justice, qui n'est qu'une abstraction, un être de raison : tant que personne n'est effectivement juste, la justice n'est en effet qu'une abstraction, tout au plus une exigence... Une exigence de justice, ce n'est certes pas rien, mais ce n'est pas pour autant la justice, la justice réelle. Ce n'est qu'une promesse, un espoir, un idéal, même si, il est vrai, la justice idéale a une fonction à titre de norme de l'acte juste. De même, la somme des angles de tout triangle vaut nécessairement deux droits ...mais cela n'implique pas qu'un seul triangle existe. De même encore, on peut envisager de définir l'essence de Dieu : cela ne signifie pas que Dieu existe. Ainsi, celui qui "ne croit pas en Dieu" a une représentation de son essence : il affirme simplement que cette essence ne correspond à rien d'existant.

    2. ...Pourtant, Descartes a proposé un argument étonnant au sujet de l'existence de Dieu : l'argument ontologique, selon lequel l'idée d'un être parfait (= Dieu) implique son existence (un être parfait ne manquerait de rien, pas même d'être, c.-à-d. d'existence). Donc un être parfait (nommons-le Dieu) existe nécessairement !

    3. Mais la validité de cet argument a été contestée : selon Kant en effet, l'être (plus exactement « la réalité ») n'est pas un prédicat (un attribut, une propriété) qui pourrait être ajouté ou retranché à l'essence : dire que « Dieu est tout puissant » n'implique pas que « Dieu existe ». On ne pourrait donc jamais conclure de l'essence à l'existence ; l'existence ne pourrait jamais se déduire de l'essence. Par suite : l'existence est irréductible à l'essence. Elle est une donnée radicalement contingente, un don injustifiable : la raison peut-elle admettre une telle contingence ?
2. Existence et raison
  1. Existence et subjectivité

    1. De la certitude d'exister : le fameux « Je pense donc je suis » de Descartes montre que c'est la pensée rationnelle qui me découvre que je suis (mon existence : j'existe, je suis). C'est même elle qui me fait connaître, ajoute Descartes, qui je suis (mon essence : je suis « une chose qui pense », c'est-à-dire une âme).

    2. De l'inconfort d'exister : Le sujet existe donc, au moins pour lui-même. Mais avec cette découverte, il lui apparaît aussi qu'il n'existe pas comme un étant quelconque, comme une simple chose parmi d'autres choses : en particulier, il est celui qui s'apparaît à lui-même en même temps que ce qui fait qu'il s'apparaît à lui-même. Plus radicalement, l'existence humaine tout entière manifeste une protestation contre la contingence de l'être brut. Ceci se révèle concrètement, p.ex., dans la culture comme anti-nature (Hegel, Bataille). En ce sens, exister, pour l'homme, ce n'est pas seulement, ce n'est jamais tout à fait vivre, coïncider purement et simplement avec l'être brut de la vie. Pourtant, l'homme est aussi un animal, un être vivant. La nature humaine est donc en elle-même constituée par une contradiction entre l'essence (l'homme être vivant en soi) et l'existence (le sujet humain défini par la présence subjective à soi). Or, si la vie est nécessité, l'existence se découvre comme contingence. « Exister, écrit Alain, cela écrase toutes les raisons ». La raison n'a donc pas toujours raison ! Paradoxalement, en effet, notre existence est foncièrement sans raison : l'homme, qui est « jeté dans le monde » (Sartre), est l'être pour qui l'existence fait problème (problème du sens de l'existence). Ce qui en témoigne au plus haut point, c'est le rapport de l'homme à sa propre mort...
  1. Exister et mourir
    1. L'idée de la mort : l'idée de la mort est la pensée du néant. Encore faut-il s'entendre sur le sens à donner à cette idée... De quelle mort s'agit-il en effet ? On peut en effet distinguer :

      • La mort objective, anonyme (« on meurt », banalité conforme à l'objectivité des sciences biologiques.
      • La mort d'autrui (souvent éprouvée comme une perte douloureuse, elle évoque plus directement la mienne, mais reste cependant l'affaire d'un autre que moi).
      • Ma propre mort.

      Or c'est cette dernière qui pose le problème de l'existence : parce qu'il sait qu'il meurt, l'homme sait qu'il existe. La mort, notre propre mort, est pour nous l'horizon même de notre existence, et ce qui, par suite, fait de notre existence un problème, éminemment subjectif il est vrai, et pourtant inséparable de l'authenticité de notre façon d'exister. Car si la mort objectivement parlant est rationnellement explicable (« mourir de telle maladie »), et même biologiquement justifiable (« il faut bien mourir »), ma propre mort, en revanche, est injustifiable, absolument irrationnelle, et même, à strictement parler, impensable (cf. Kant : « Je ne suis pas' est une pensée impensable... »), et donc incroyable : nous savons, abstraitement, intellectuellement, que nous sommes mortels ; autre chose est de penser notre fin, et même de croire en notre propre mort. Nous ne pouvons pas, en effet, penser le néant : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face » (La Rochefoucauld).

    1. Je meurs donc j'existe : La mort est donc redoutable, et cependant impensable ; mais alors pourquoi redouter ce que nous ne pouvons penser ? Nous sommes en effet absents quand elle se présente, et présents tant qu'elle n'est pas venue : elle n'est donc pas à craindre (Epicure). Mais est-elle à oublier pour autant ? Selon Kierkegaard, l'oubli de la mort rend la vie frivole et inconsciente : la recherche du plaisir instantané est fuite dans le présent immédiat. Il est vrai qu'à l'inverse, l'obsession de la mort paralyse l'action ; pourtant, le sérieux de l'existence - entre frivolité et gravité - doit nous faire considérer l'idée de la mort, car elle seule « donne l'exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course ». C'est finalement l'attitude la plus sage. Mais c'est aussi la plus libre :

      « Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. Il n'y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n'est pas mal. » (Montaigne, Essais, Livre premier, Chapitre XX).
3. Existence et action
  1. L'existence est la vérité singulière et concrète

    L'esprit de système (la pensée abstraite universalisante) ne peut jamais rendre compte correctement de la singularité de l'existence. Il ne peut que rapporter l'existant au « concept » (« l'homme », « l'âme », « la liberté », et autres abstractions). Mais justement l'existence n'est pas conceptuelle. Elle est la réalité, ou plutôt une réalité, le concret singulier irréductible à la « catégorie » dans laquelle l'enfermerait le concept, l'universel. C'est pourquoi, comme le dit Kierkegaard, « la subjectivité est la vérité ». Mais comment faut-il ici comprendre la « vérité » ? Elle ne consiste pas, en effet, dans l'universel – ce qui paraît hautement paradoxal : la vérité, c'est mon existence même. Et exister, c'est, littéralement ek-sister, c'est-à-dire « se tenir hors de », hors du « monde en soi », dans la liberté, ce que manifestent...

  2. L'angoisse et le désespoir

    1. L'angoisse : elle désigne ordinairement une peur sans objet. Elle peut cependant être comprise : elle manifeste fondamentalement en effet, selon Kierkegaard, l'impossibilité de trouver des réponses humaines aux questions fondamentales de la conscience (angoisse d'Abraham, c'est-à-dire angoisse du choix dont nous sommes seuls responsables).

      Sartre reprendra cette idée en disant que l'angoisse est le signe de l'obscurité de la condition subjective de notre existence. Avant tout, elle signifie confusément notre liberté et notre responsabilité : l'existence est en effet le lieu de tous les possibles, et nous seuls en sommes responsables. « L'homme, dit Sartre, est condamné à être libre ». La liberté, qui caractérise l'existence humaine, est en effet source d'angoisse dans la mesure où nous sommes appelés à choisir, et par là à nous choisir… « Nous sommes embarqués », disait déjà Pascal.

    2. Le désespoir : ordinairement détresse, affliction profonde, le désespoir manifeste, aux yeux de Kierkegaard, l'impossibilité d'être soi en même temps que l'impossibilité de ne pas être soi. Il est donc le signe de la subjectivité comme distance de soi à soi ; il signifie que je ne peux jamais tout à fait coïncider avec moi-même, mais que je ne peux pas non plus tout à fait ne pas être moi-même.

      Sartre, quant à lui, voit dans le désespoir l'expression lucide de l'angoisse, l'angoisse assumée qui est le signe d'une existence authentiquement éprouvée – toute autre attitude étant de mauvaise foi (inauthenticité, fuite de mes responsabilités, refus de l'angoisse devant la liberté, et finalement de la liberté elle-même).

  3. Exister c'est s'engager

    Le désespoir n'est donc pas à proprement parler un sentiment négatif puisqu'il manifeste une situation que toutes les autres attitudes s'emploient à occulter. De ce fait, le désespoir est le premier moment d'une espérance : l'homme, dit Sartre, « est condamné à chaque instant à inventer l'homme ». L'homme n'a pas de nature, pas d'essence. Rien ne vaut rien en soi. Selon Sartre, cette absence de définition est confirmée par l'inexistence de Dieu. Il parle à ce sujet du délaissement (déréliction selon Heidegger) : exister, c'est donc être livré à soi-même, c'est être sans valeur, et cependant sommé à chaque instant de choisir des valeurs, au point que ne pas choisir, c'est encore choisir ! L'existence est en soi absurde, c'est-à-dire n'a pas de sens, mais requiert un sens. De même, la liberté n'est pas un être, mais un néant, au sens où elle est à réaliser (Sartre, L'Etre et le Néant). C'est donc en agissant que l'homme décide de ce qu'il va être. Exister, c'est donc agir, et c'est en agissant que l'homme donne un sens à son existence et se définit.

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Qu'est-ce que le temps ?  écouter ( ADSL recommandé ) . . . 3 X 1h20'
| 1 | Une brève histoire philosophique du temps
| 2 | Du temps physique au temps vécu
| 3 | Philosophe et physicien : quel dialogue ?
en compagnie de Jean-Michel BESNIER
Source : Collège de la Cité des Sciences
URL : http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/college/02-03/cours/04-03-temps/04-besnier/index.htm

Encyclopédie
     WIKIPEDIA



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