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édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Vivre dans l'instant...
23/06/2004

Le 5/04, cette interrogation de Mathieu (encore lui !) : "J'aimerais savoir comment on peut faire pour vivre dans l'instant et non par procuration dans des temps qui ne sont pas nôtres, comme dirait Pascal, mon prof de philo a oublié de nous le dire !!! Et j'aimerais savoir si l'on peut considérer le fait de lire des livres de science fiction ou de fantaisy signifie que l'on fuit le présent comme lorsque l'on vit par procuration dans le futur ?? Ca me fait un peu peur si ce n'est beaucoup, de savoir que finalement même en m'ordonnant de vivre l'instant, inconsciemment je le rejette et vis à travers mon monde imaginaire dans le passé ou le futur ! Si vous pouviez éclairer ma lanterne... Ce serait super sympa (pour changer !!) ! Merci d'avance !"

=>23/06/04 :

Bonjour, et mille pardon pour ce terrible retard. Mathieu, j'ai été totalement débordé : question de... temps, bien sûr ! Je ne vous ai pas (tout à fait) oublié et je vous assure que je reste 'super sympa'.

Toutefois, si vous lisez ces lignes, c'est que vous avez "de la suite dans les idées" et ne vivez pas seulement dans l'instant ! On doit se demander, en effet, s'il "faut" vivre dans l'instant... Certes, ce que veut dire Pascal (<= le texte que vous évoquez est là), c'est que seul le présent existe vraiment ; le passé et l'avenir ne sont que de pures représentations, et nous ne les "tenons" pas vraiment − le premier parce qu'il n'est plus, le second parce qu'il n'est pas encore (...et peut-être ne sera jamais). Le passé doit passer, et Pascal stigmatise donc la vie fondée sur le regret : il faut savoir rompre avec le passé. Et l'avenir ? L'avenir est incertain, c'est certain ! Il ne faut donc pas fonder sa vie sur un avenir "où nous n'avons aucune assurance d'arriver".

Mais Pascal ne dit rien de plus. Notamment, il ne dit pas qu'il faut vivre dans le pur instant présent. Du reste, seules les choses (ou les légumes !) vivent seulement dans le présent, sans mémoire, sans projet et sans désir. Une vie qui ne retiendrait rien, qui ne serait éclairée par aucun passé, comme une vie qui ne serait tendue vers aucun avenir, une telle vie ne serait même pas pensée. Bergson a bien montré que la conscience est "un pont jeté entre le passé et l'avenir". Sans ce pont, l'homme ne pourrait pas vraiment exister humainement, car exister, comme dit encore Bergson, c'est "se créer indéfiniment soi-même", par un choix, qui suppose, justement, le souvenir de ce qui a été, et la prévision de ce qui sera décidé (L'énergie spirituelle, p.10). En d'autres termes, une vie sans mémoire ni projet, une vie rivée au présent serait une vie inconsciente. Leibniz définissait d'ailleurs la matière mens momentanea, un "esprit instantané" : comment définir mieux l'inconscience ?

Mais votre propre conscience d'être tenté de rejeter le présent et de vivre à travers votre monde imaginaire, dans le passé ou le futur des oeuvres de fiction, ne signifie-t-elle pas, déjà, que vous ne subissez pas vraiment votre "mode d'être-au-temps", si je puis dire ? Car finalement, pour faire bref, c'est peut-être là le plus important : être actif, notamment en étant à l'écoute de nous-même, en pensant notre rapport au temps vécu.

Vivre au présent ne peut donc vouloir dire qu'être présent au moment que l'on vit, ne pas se refuser au moment vécu, et non pas tout oublier, ou vivre au jour le jour.

D'une autre façon, Bergson (encore lui) a bien vu que nous avons tous un "moi authentique", en accord avec lui-même, c'est-à-dire en accord avec la durée intérieure qui le constitue, et un "moi superficiel" qui tend à le refuser, façonné par les conventions sociales extérieures, et se ramenant le plus souvent à une série d'automatismes inconscients. Notre rapport au temps, si significatif en effet de notre façon d'exister, n'a donc pas à se réduire à une instantanéité rêvée. Le débat est ailleurs : entre une vie toute extérieure, superficielle, et sans liberté, coincée dans la planification, et une vie qui laisse une large place à l'intériorité, à la durée vécue, qui n'exclut jamais ni le passé ni l'avenir. On peut certes se perdre dans le passé, comme on peut perdre sa vie à la gagner, en se projetant sans cesse en avant de soi, mais ce n'est toujours qu'en s'oubliant soi-même...

Cela dit, après ces temps difficiles... je veux parler des examens, je suis certain que vous allez vivre pleinement, - avec ou sans l'éclairage de ma lanterne. Bonne continuation et bonnes vacances.


Mathieu écrit à nouveau à Philia (le 25/06) : "Je vous remercie pour votre réponse, je n'ai pas douté une seule seconde que tôt ou tard vous me répondriez ! Mais ce que je ne comprends pas vraiment c'est que d'après pascal "[...] nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais". Donc d'après lui le seul moyen que l'on ait pour être heureux serait de vivre dans l'instant. En fait je ne comprends pas très bien ! Nous avons vu ce texte plusieurs fois au cours de l'année et malgré cela il m'est encore obscur. Ce texte me passionne car il éclaire quelque chose que j'essaie de saisir intuitivement : notre rapport au temps !!! Voilà, je n'ai pas fini de vous embêter avec mes questions et je n'oublierai pas votre site pendant les vacances ! Merci pour toutes vos réponses !"


Merci Mathieu de m'embêter de la sorte. En fait, pour bien vous répondre, il y a sans doute quelque chose qui vous manque, et c'est le contexte, qui apparaît en considérant que Pascal est profondément croyant. Une lettre à Charlotte de Roannez datée de décembre 1656 en témoigne dans laquelle Pascal évoque presque mot pour mot le texte dont nous parlons, en citant d'abord la parole de "Notre Seigneur" : "A chaque jour suffit sa malice" (Matthieu, VI,34), que nous traduisons aujourd'hui plus volontiers par "A chaque jour suffit sa peine".

Voici un extrait de cette lettre qui suit immédiatement cette citation :

Le passé ne nous doit point embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir regret de nos fautes ; mais l'avenir nous doit encore moins toucher, puisqu'il n'est point du tout à notre égard, et que nous n'y arriverons peut-être jamais. Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C'est là où nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu'on ne pense presque jamais à la vie présente et à l'instant où l'on vit ; mais à celui où l'on vivra. De sorte qu'on est toujours en état de vivre à l'avenir, et jamais de vivre maintenant. Notre Seigneur n'a pas voulu que notre prévoyance s'étendit plus loin que le jour où nous sommes. C'est les bornes qu'il faut garder, et pour notre propre salut, et pour notre propre repos. Car, en vérité, les préceptes chrétiens sont les plus pleins de consolations ; je dis plus que les maximes du monde.

Dans le même évangile dont est tiré la phrase citée par Pascal, on peut lire aussi cette autre parole célèbre : "Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ?"

Un autre indice : notre texte se trouve dans la partie des Pensées intitulée "Vanité" (et Pascal utilise d'ailleurs l'adjectif vain dans ce texte). Ce que cherche à souligner Pascal, dans cette partie, c'est la faiblesse des hommes, qui ne jugent bien de rien, pas même de la petitesse de leur durée.

Nous habitons cette durée en étant hanté par "des temps qui ne sont pas nôtres", et à force de penser au présent, nous ne le vivons plus : "Notre imagination nous grossit si fort le temps présent à force d'y faire des réflexions continuelles, et amoindrit tellement l'éternité manque d'y faire réflexion, que nous faisons de l'éternité un néant, et du néant une éternité. Et tout cela a ses racines si vives en nous, que toute notre raison ne nous en peut défendre." La faiblesse vient donc, paradoxalement, de la raison... Mais Pascal n'en appelle pas pour autant à "l'instinct" ! Il nous faut dépasser la raison par le coeur, car "c'est le coeur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au coeur, non à la raison."

Voilà. C'est un peu rapide, je reconnais, surtout vu l'importance de la question, mais il me semble qu'ainsi on comprend mieux l'idée de Pascal : en fait, Pascal n'est pas Epicure ! Il ne cherche pas une façon d'être heureux en vivant l'instant présent, en ne pensant ni au passé ni à l'avenir, parce qu'il pense que l'homme est, de toute façon, une créature misérable, littéralement in-quiète et irrémédiablement tourmentée, et que son salut ne saurait être "terrestre". Il est vrai que le texte dont nous sommes partis est ambigü, mais vous remarquerez aussi que Pascal ne dit pas que nous pouvons être heureux : sa thèse est purement négative ("Nous ne nous tenons jamais au temps présent"), et il n'y a pas de "solution", du moins pas de solution "terrestre" : ce que l'on pourrait appeler "l'essentiel", selon Pascal, ne relève pas de la durée : "Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir."

Avec mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 035

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