Chargement en cours . . . 

Courrier PHILIA

 Philia [accueil]...    imprimer ce document...   fermer cette fenêtre...

COURRIER


 

Les hommes savent-ils ce qu'ils désirent ?...
20/04/2007

D'Elodie le 20/04/2007 : "Bonjour philia, alors voilà j'ai un devoir à faire pour 3 mai. Plus exactement une dissertation qui pour moi semble être un vrai casse tête. Voici le sujet : Les hommes savent-ils ce qu'ils désirent ?

Voici mon introduction :

Le désir est la recherche d'un objet que l'on imagine ou que l'on sait être source de satisfaction. C'est lorsque l'objet du besoin vient à manquer que le manque éprouvé se transforme en désir. Tout au long de notre vie, nous bâtissons tous des projets et nos désirs évoluent en permanence. Les désirs font partie de l'existence humaine. Mais savons-nous ce que nous désirons ? Dans un premier temps, nos désirs portent sur un objet bien précis que nous cherchons absolument à acquérir, ainsi nous pouvons dire que nous savons parfaitement ce que nous voulons. D'un autre côté, le désir au bout d'un certain temps peut diminuer et nous faire rêver à accéder à de nouveaux horizons, bâtir de nouveaux projets. On peut ainsi dire que l'homme est un être insatisfait dont les désirs ne seront jamais satisfaits car ils évoluent sans cesse. Dès lors que nous obtenons ce que nous avons désiré. La connaissance de nos désirs nous est parfois nécessaire. Pouvons-nous dire alors que nous avons ce que nous désirons ?

Mon plan :

  1. Oui les hommes savent ce qu'ils désirent (Sartre)
  2. Non les hommes ne savent pas ce qu'ils désirent car ils n'ont pas toujours conscience (psychanalyse de Freud).

Voilà. J'espère que vous pourrez m'aider. Je vous remercie d'avance."

=> 29/04/07 : Bonjour Elodie, et merci de votre confiance. Voyons sans attendre ce qu'il en est de votre introduction (attention, je ne suis pas tendre !), puisque vous me faites la grâce de me la soumettre :

Le désir est la recherche d'un objet que l'on imagine ou que l'on sait être source de satisfaction. C'est lorsque l'objet du besoin vient à manquer que le manque éprouvé se transforme en désir. Tout au long de notre vie, nous bâtissons tous des projets et nos désirs évoluent en permanence. Les désirs font partie de l'existence humaine. Mais savons-nous ce que nous désirons ?

Je pense que vous n'aurez aucun mal à reconnaître que ce mot de liaison, "mais", n'a pas vraiment de rapport avec ce que vous avez écrit dans les 4 phrases précédentes : dans ces 4 premières phrases, vous dites des choses justes, mais (1) vous les dites sans ordre, et (2) cette absence d'ordre ne permet pas vraiment d'aboutir à la question (= au sujet). En d'autres termes, ce début d'introduction n'introduit pas correctement le sujet, et, par suite, puisqu'on ne voit pas bien pourquoi la question se pose, on ne voit non plus ce qui, en elle, fait problème. J'espère malgré tout, chère Elodie, que vous ne vous dites pas que vous auriez mieux fait de passer votre chemin et de ne pas vous adresser à moi. Vous me pardonnez je crois ces mots un peu durs... Pas si durs, toutefois, puisque, comme nous allons le voir, votre introduction contient en réalité tout ce qui est nécessaire pour mener à bien la présentation du problème.

Que faut-il donc faire ? La réponse est, bien sûr, dans la section Démarches de Philia, et plus spécialement dans la page consacrée à l'introduction de la dissertation : en résumé, pour que la question soit l'expression d'un problème philosophique, il faut qu'elle puisse recevoir des réponses (1) qui sont incompatibles (typiquement : oui / non), ce que vous avez bien compris, mais aussi (2) qui paraissent également vraies (ou éventuellement également fausses, mais c'est un peu plus compliqué...), ce que vous faites plus maladroitement. En effet, pour que la contradiction apparaisse entre ces deux réponses, il faut avancer ce que j'appelle des indices — en l'occurrence :

i(A) = un indice en faveur de la thèse A,
et i(B) = un indice en faveur de la thèse B.

Tout ce qui ne servirait pas (1) à énoncer les thèses et (2) à présenter ces fameux indices, est à négliger : par conséquent, il ne faut pas hésiter à "jeter" ce qui, à ce stade, est inutile.

En revanche, l'ordre d'exposition final de ces éléments est assez indifférent, du moment que tout ce que vous écrivez serve vraiment à mettre en lumière cette contradiction. Par exemple, vous pouvez commencer votre introduction en évoquant l'une des thèses AVANT d'exposer l'indice qui la soutient... ou bien l'inverse : commencer par l'indice, PUIS énoncer la thèse. Même remarque, bien sûr, pour la suite (exposition de la deuxième thèse et de son indice).

Appliquons ces quelques principes à votre sujet :

A = Les hommes semblent parfaitement savoir ce qu'ils désirent.
B = Les hommes semblent n'avoir en réalité aucune idée de ce qu'ils désirent.

Vous remarquez, au passage, que ces reformulations font apparaître une dissymétrie : la thèse B paraît moins commune, moins évidente ("en réalité"), ce qui suggère de commencer plutôt par la thèse A.

Quel indice donnerons-nous à cette première thèse ? Ne cherchez pas bien loin, chère Elodie : la définition que vous donnez du désir ("
Le désir est la recherche d'un objet que l'on imagine ou que l'on sait être source de satisfaction") convient très bien. En effet, cette définition suggère directement que le désir a un objet bien déterminé : les hommes savent donc ce qu'ils désirent puisque le désir se définit comme tension consciente vers la possession ou l'usage d'un tel objet.

Quel indice maintenant pour la thèse B ? Là encore, votre introduction contient ce qu'il faut : en effet, vous écrivez, un peu plus bas, que "
l'homme est un être insatisfait dont les désirs ne seront jamais satisfaits car ils évoluent sans cesse". Tout se passe en effet comme si aucun objet ne pouvait satisfaire tout à fait notre désir, et ce qui en témoigne, c'est justement ce déplacement perpétuel de l'objet du désir : la conscience désirante cherche un objet en s'imaginant que sa possession ou son usage sera satisfaisant, mais l'expérience montre aussi que cette satisfaction, lorsqu'elle est obtenue, n'est pas aussi satisfaisante qu'on l'avait imaginé... comme si l'objet désiré était indéterminé, ou peut-être même indéterminable : est-ce vraiment le cas ? Faut-il convenir que nous ne savons pas vraiment (= pas en réalité, disions-nous plus haut) ce que nous désirons ?

...Voilà donc pour "réparer" votre introduction. Je suis sûr que vous saurez mettre tout cela en forme, et que vous saurez identifier ce qui, dans votre proposition d'introduction, était en fait tout à fait inutile (c'est par exemple typiquement le cas de votre 2e phrase, mais il y a d'autres éléments inutiles... cherchez bien !).

A noter aussi : il n'est pas absolument indispensable d'indiquer le plan à la fin de l'introduction. Mais, sur ce point, il est vrai, mieux vaut suivre les conseils de votre professeur...

Concernant votre plan maintenant : je ne saisis pas bien comment Sartre va vous aider à établir le caractére déterminé du désir. C'est à voir. On devine un peu mieux pour votre évocation possible de Freud adapté à la soutenance de la thèse B, mais enfin ce n'est pas explicité dans votre message...

Vous pourriez peut-être, dans votre deuxième partie, développer l'idée que les hommes savent plus facilement ce qu'ils ne désirent pas que ce qu'ils désirent (et, par cette raison, qu'il est plus facile aussi d'obtenir l'unanimité contre que pour...). Je vous laisse le soin de trouver des illustrations, mais ne sont-elles pas le signe que nous ne savons pas bien ce que nous désirons ? Toujours pour aller dans le même sens, vous pourriez aussi utiliser la définition que vous donnez initialement du désir (pompée chez Philia ?) : "
recherche d'un objet que l'on imagine ou que l'on sait" : le désir ne manque pas d'imagination, et même il se nourrit de l'imagination, qui, comme vous savez, est une puissance trompeuse, "maîtresse d'erreur et de fausseté" comme dit Pascal. Elle ne conduit pas au savoir, et, on doit le reconnaître, l'homme "est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience" (Kant — c'est moi qui souligne). Or, bien évidemment, nous ne sommes pas omniscients ;-(
...Et c'est pourquoi nous nous contentons d'imaginer comment être heureux, au risque, comme on dit, de bâtir des châteaux en Espagne (= expression qui signifie chercher à satisfaire des désirs chimériques).

Vous remarquerez que deux attitudes sont envisageables à partir de là : une attitude critique et une attitude bienveillante. Une attitude critique : le désir est un ignorant — or l'ignorance est une insuffisance (condamnable, donc) — donc le désir est révélateur d'une insuffisance et est donc condamnable. L'idéal est l'anéantissement du désir, qui est toujours vain. Les références ne manquent pas... Mais une attitude bienveillante est également envisageable ; on la trouve par exemple dans un très beau texte de Rousseau : "Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Etre existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas" (petite note : "l'Etre existant par lui-même" = Dieu = cause de soi autosuffisante). Aussi faut-il admettre, avec cet auteur : "Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède". En d'autres termes, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'indétermination du désir nous est nécessaire, parce que c'est elle qui nous fait tenir à l'existence, et l'homme qui le déplorerait et irait jusqu'à s'abstenir de désirer serait, comme on dit, malheureux comme les pierres : et en effet, "vivre ainsi c'est être mort" dit Rousseau. La finitude n'est donc pas une catastrophe tant que nous désirons, quitte à ne pas bien savoir ce que nous désirons et à changer de désir.

Reste maintenant qu'il serait souhaitable de comprendre tout cela : quel sens faut-il en en effet accorder à cette indétermination ? La question est assez difficile, car, en un sens, cette indétermination peut être vue comme le signe que le désir est ce creux impossible à combler, signe de la finitude et donc marque de la misère humaine. Mais ne peut-on pas voir tout aussi bien en elle le signe que le désir est une puissance créatrice qui nous projette au-devant de nous-mêmes ?... Incroyable : Philia se copie lui-même ! En effet, ceci est dit, et, en partie développé dans le dossier Philia consacré au désir...

Si vous vous en sentez la capacité (mais seulement dans ce cas), vous pourriez peut-être alors utiliser Hegel : pour lui, cette indétermination est le signe que le désir est une sorte de tentative de l'Esprit pour se réaliser lui-même.

Explications :

  1. Hegel définit l'Esprit comme "la réalité qui se sait". Pour le dire simplement, l'Esprit c'est la Conscience de soi.
  2. Mais cette Conscience de soi n'est pas une donnée immédiate. Au contraire, la Conscience de soi est ce qui vient en dernier. L'homme existe avant de savoir qu'il existe, et il est "enfant avant que d'être homme" (Descartes) au sens où l'enfant ne se pense que dans l'homme. Hegel écrit que "l'Esprit n'est qu'à la fin ce qu'il est en réalité". Autrement dit, l'Esprit est tardif, car il est le sens. Il vient à la fin, et il est donc tout le contraire de l'être matériel / naturel, bien qu'il soit la vérité de l'être matériel / naturel.
  3. Soit, mais la fin peut venir d'elle-même dans les choses matérielles / naturelles. Par exemple, l'enfant grandit sans effort : il suffit qu'il mange assez de soupe ! En est-il de même de l'Esprit ? L'Esprit est-il la fin naturelle de la vie immédiate ? En un sens, oui : car la Conscience de soi est la destination de la vie. La réalité n'est vraiment elle-même, définitivement, que lorsqu'elle est parvenue à se penser elle-même, à prendre conscience de ce qu'elle est... Mais en un autre sens, non : car la pensée est un effort, et on peut vivre sans penser, et, surtout, sans se penser. Car on peut penser sans penser notre pensée, ni même savoir ce qu'est la pensée, de même qu'on peut agir sans savoir précisément pourquoi on agit, ou qu'on peut rire sans bien savoir pourquoi on rit. Etc. Bref, il faut l'Esprit se prenne lui-même en charge.
  4. Soit, mais comment ? La première solution paraît d'abord être la bonne : puisque l'Esprit est conscience de soi, il suffit, pour accéder à l'Esprit, de se penser soi-même. C'est ce que l'on appelle la réflexion, au sens propre de retour de la pensée sur elle-même.
  5. Mais voilà : si la réflexion est le chemin le plus court, c'est aussi le plus difficile. Aussi le chemin le plus long est-il le plus facile : ce chemin long, c'est le détour qu'opère le sujet en s'élançant dans le monde extérieur, dans le monde des "objets". Ce chemin, c'est le DESIR. Le désir est donc, au terme de cette analyse, le cheminement de l'Esprit qui se cherche lui-même dans les choses extérieures. Il n'est donc pas une évasion, mais un retour indirect vers soi pour se penser soi-même, pour s'accomplir soi-même comme sujet pensant. Mais de tout cela, chère Elodie, vous ne direz rien à personne (et vous ne direz pas que c'est moi qui vous l'ai dit !) : en effet, le sujet l'ignore, et croit, bien sincèrement, que son désir est tourné vers l'extérieur. Il devrait pourtant se rendre compte, puisqu'il change constamment d'objet, que ce n'est pas vers l'extérieur qu'il est tourné en réalité, puisque le désir est désir de soi. Plus exactement : de soi à travers l'autre.
  6. Est-il vraiment besoin de continuer ? Hegel répondrait que oui, car quel est cet autre que soi qui est l'objet du désir ? Vous connaissez la réponse : c'est n'importe quoi ! Nous pouvons en effet tout désirer, même l'impossible. Mais cette réponse n'est pas suffisante : n'y a-t-il pas un objet plus "assimilable", au sens où il favoriserait plus que tout autre l'accession du sujet à la conscience de soi ? Réponse de Hegel : oui. Il suffit que cet autre soit l'autre, au sens d'un autre sujet : autrui... Mais, comme on dit, c'est une autre histoire, même si c'est encore (sans jeu de mots) le sujet !

Vous avez donc là, chère Elodie, de quoi nourrir un peu votre réflexion sur ce beau sujet. Pensez à donner de vos nouvelles. En attendant, recevez toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 121






            


 - Contrat Creative Commons (certains droits réservés) -