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 COURRIER

édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Suffit-il de raisonner correctement pour être assuré de ne pas se tromper ?...
07/02/2007

De Mademoiselle Sophilia le 07/02/2007 cette demande : " Bonjour cher 'philia', c'est la première fois que j'envoie un courrier et j'espère ne pas vous paraître trop naïve...Notre nouveau sujet de dissertation est : Suffit-il de raisonner correctement pour être assuré de ne pas se tromper ? J'ai quelques questions pour ma problématique telles que : quels sont les dangers de l'erreur ? Pourquoi faut-il penser pour ne pas se tromper ? Quelles sont les limites de notre pensée ? Pouvons-nous être sûr d'être dans le vrai ?... Néanmoins je ne sais pas si toutes ces questions englobent la totalité du sujet. Avec pour thème le raisonnement et l'erreur, je voulais savoir si je pouvais également parler de la vérité et de la liberté qu'elle peut procurer mais j'ai peur de m'égarer un peu sur le sujet. De plus, j'aurais voulu savoir si une citation tirée des évangiles pouvait être nuisible dans le sens que nous étudions des philosophes mais très peu d'artistes (alors qu'il me semble que l'on peut associer philosophie et art) ou d'écrits qui ne soient pas de Freud, Kant ou encore Aristote. [...] Je me trompe peut-être en disant que la question revient à se demander si une argumentation rationnelle ou une démonstration permet de ne pas être dans l'erreur et donc d'atteindre la vérité... J'ai essayé de "décortiquer" la phrase comme on nous le demande, et pour moi, le "suffit-il" revient à se demander si c'est nécessaire mais non suffisant ; "bien raisonner" désignerait alors un raisonnement logique basé sur une démonstration ; "être assuré" c'est être sûr et "ne pas se tromper" fait référence à l'erreur, et donc on se demande si un raisonnement logique permet d'atteindre la vérité... Je reste sûrement trop superficielle et je m'excuse si je vous fais perdre un temps très précieux. Merci d'avance, et un grand merci pour votre site qui permet d'approfondir beaucoup de notions qui, en 3h de cours par semaine, ne peuvent que légèrement être abordées ! "

=> 20/02/07 :
Bonjour Sophilia. Mille pardons pour ce terrible retard, et ma réponse vous parviendra probablement trop tardivement. Croyez bien que j'en suis désolé, mais je n'ai vraiment pas réussi à dégager le temps nécessaire pour vous dépanner.

Pour commencer, il faudrait se demander ce qu'il convient de tenir pour un raisonnement correct. Comme vous l'écrivez, on pourrait dire d'un raisonnement qu'il est correct lorsqu'il est "logique". Soit, mais alors qu'est-ce qu'un raisonnement logique ? Quand est-ce qu'un raisonnement est "logique" ?

En premier lieu, un raisonnement est un enchaînement de propositions. Ainsi, "Paris est la capitale de la France" n'est pas un raisonnement, puisque ce n'est qu'une proposition isolée. Et puisque vous êtes quelqu'un de logique, vous n'aurez aucune peine à admettre qu'il n'est ni logique ni illogique de dire ou de penser que "Londres est la capitale de la France". Cette proposition est "seulement" (c''est-à-dire tout simplement) fausse.

En second lieu, tout enchaînement de propositions ne constitue pas un raisonnement logique : "1. Paris est la capitale de la France", or "2. Londres est la capitale de la Grande Bretagne", donc "3. La terre est en mouvement autour du soleil". Pourtant, chacune de ces trois propositions est [VRAIE].

Inversement, l'enchaînement suivant est parfaitement logique : "1. Londres est un quartier commerçant situé à Paris" [FAUX], or "2. Paris est la capitale de la Grande Bretagne" [FAUX], donc "3. Londres est en Grande Bretagne" [VRAI]. Remarquez que la conclusion (= la proposition 3) est vraie, alors que les prémisses (= les propositions 1 et 2) sont toutes les deux fausses : on peut donc raisonner correctement, c'est-à-dire logiquement, conformément, comme dirait Kant, aux lois de l'entendement, et dire des âneries... qui pourront malgré tout aboutir à des énoncés vrais. Evidemment, des prémisses fausses peuvent aussi aboutir logiquement à une conclusion fausse : "1. Paris est la capitale de la Grande Bretagne" [FAUX], or "2. J'habite à Paris" [FAUX également], donc "3. J'habite en Grande Bretagne" [FAUX à nouveau]... Où l'on voit clairement qu'il faut distinguer vérité (des propositions) et validité logique (des raisonnements).

...En revanche, si les prémisses sont toutes vraies, et que le raisonnement est valide sur le plan logique, la conclusion doit être vraie elle aussi. On voit donc clairement qu'il ne suffit pas de raisonner correctement pour être assuré de ne pas se tromper : la première précaution est de "partir d'un bon pied", c'est-à-dire, avant tout raisonnement, de s'assurer de la vérité des premières propositions.

Ainsi, si Descartes avait à traiter votre sujet, il répondrait probablement oui : à ses yeux en effet, si les hommes pensent différemment, c'est parce que leur esprit sont diversement disposés et que leurs pensées empruntent des voies diverses : "la diversité de nos opinions, écrit-il, ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses" (c'est moi qui souligne). Cette considération ne les empêchent pas, bien au contraire, de croire qu'ils raisonnent correctement et que ce sont les autres qui "pensent de travers". Pourtant, comme l'écrit cet auteur au tout début de son Discours de la méthode : "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée"(voir ici), c'est-à-dire est également possédé par tous les hommes. Le bon sens dont parle Descartes, c'est la raison — non pas la sienne ou la mienne ou la vôtre, mais la raison universelle. Cette raison, la même donc en tous les hommes, nous devrions, pense Descartes, pouvoir en faire un bon usage en apprenant à la connaître, car "ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien". En d'autres termes, il nous faut apprendre en user avec méthode (...d'où le titre de l'ouvrage fameux). Ainsi, puisqu'elle est "la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux", nous pouvons légitimement espérer, en faisant bon usage de notre raison, donc en raisonnant correctement, et sur des bases incontestables, accéder au vrai, et, ainsi, éviter l'erreur.

Dès lors, la question qui mérite la priorité absolue est la question de savoir quelle méthode doit être appliquée. Or on peut remarquer qu'il nous faut ici surmonter un problème : car si, comme on l'a dit, il faut bien raisonner pour découvrir la vérité, et si, pour bien raisonner il faut une méthode, alors on peut se demander quelle méthode doit nous permettre de découvrir la méthode, et pour cela encore — vous l'avez deviné — quelle méthode adopter pour découvrir cette méthode permettant de parvenir à cette méthode, et ainsi à l'infini...

Descartes s'en tire, si l'on peut dire, en invoquant l'évidence comme première règle de sa méthode : l'évidence est en effet une représentation primitive et, pour cela, fondatrice ; elle désigne, littéralement, "ce qui se voit de loin" (<= latin ex+videre), c'est-à-dire ce qui se reconnaît immédiatement — donc par "intuition", sans la médiation d'aucun raisonnement — et s'impose ainsi comme vrai à un esprit attentif : aussi le premier précepte de la méthode doit-il être de "se fier seulement à ce qui est parfaitement connu, et dont on ne peut douter" (Règles pour la direction de l'esprit, Règle II) : "ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle..." (Discours, IIe Partie). Vous l'aurez compris : pour Descartes, la méthode, ce sont les règles de la méthode.

...Cependant, comme vous vous le demandez très justement, "quelles sont les limites de notre pensée ? Pouvons-nous être sûr d'être dans le vrai ?" L'approche cartésienne définit en effet ce qu'on a pu appeler un formalisme logique : elle s'appuie sur des principes formels (= les règles de la méthode), qui, certes, sont rationnels (...par définition), mais la vérité est-elle accessible à la seule raison, même scrupuleusement attentive à l'ordre et à la rigueur de sa propre démarche ? En d'autres termes : suffit-il de bien penser pour bien connaître ? L'ordre des choses est-il conforme à l'ordre de nos idées ?

Descartes a donc besoin d'une garantie pour assurer ce parallélisme entre l'ordre ontologique (= l'ordre des choses, qui sont hors de notre esprit, dans le monde...) et l'ordre de la pensée (= l'ordre de nos idées et de nos raisonnements). Or, où trouver cette garantie ? Pas en nous, puisqu'il se pourrait que l'ordre de nos idées, même rationnel, même rigoureux, ne soit précisément... que l'ordre de nos idées, sans que cet ordre ne reflète en rien l'ordre du monde. Mais on ne la trouvera pas non plus dans le monde, puisque c'est justement le monde que nous cherchons à connaître. D'autant que le monde est nécessairement vu de notre point de vue (par l'expérience que nous en faisons).

Cette garantie, qui nous est nécessaire si nous voulons vraiment accéder à la vérité du monde, nous devons donc la trouver à la fois hors de nous et hors du monde. Voilà pourquoi Descartes a besoin de... Dieu ! "Cela même que j'ai tantôt pris pour une règle, à savoir que les choses que nous concevons très clairement et très distinctement sont toutes vraies, n'est assuré qu'à cause que Dieu est ou existe, et qu'il est un être parfait, et que tout ce qui est en nous vient de lui. D'où il suit que nos idées ou notions, étant des choses réelles, et qui viennent de Dieu, en tout ce en quoi elles sont claires et distinctes, ne peuvent en cela être que vraies." (Discours de la méthode, IVe Partie). Nous sommes donc, pense Descartes, dépositaires des semences de la vérité introduites en nous par Dieu. Nous avons ainsi l'assurance de ne pas nous tromper lorsque nous raisonnons bien.

Des âmes peu charitables feront aussitôt remarquer que la physique cartésienne, inspirée de cette fameuse méthode rationnelle, même ainsi garantie par l'existence d'un Dieu qui ne saurait nous tromper, s'est révélée elle-même bien trompeuse...

Comme il l'écrit lui-même dans la première partie du Discours, il était sans doute nécessaire à Descartes de se démarquer de ses devanciers, qui se situaient notamment dans le sillage d'Aristote. Ce dernier avait bâti sa conception de la science sur l'observation, sur l'expérience au sens philosophique de contact direct avec les phénomènes. A l'époque de Descartes, on dût cependant reconnaître que cette méthode interprétative conduisait à des erreurs importantes. Ainsi, voyant le ciel tourner autour de nous, nous devions en déduire que la terre était au centre du monde. Mais Descartes était convaincu par l'héliocentrisme de Copernic et Galilée : le phénomène observé (= la rotation du ciel autour de nous) n'est en réalité qu'une apparence, et n'est donc pas à interpréter comme s'il s'agissait de la réalité. Nous voyons le soleil s'élever au-dessus de l'horizon, mais, en réalité, le soleil est immobile, et c'est l'horizon qui bascule "vers le bas"... Le projet de refonder la science était donc légitime. Mais la science cartésienne est elle-même un échec, en grande partie du moins. Les "trouvailles" de Descartes, en mathématiques surtout, semblent confirmer que "ce genre de recherches ne vise point d'abord à cette vérité que le monde confirme, mais à une vérité plus pure, toute d'esprit, ou qui s'efforce d'être telle, et qui dépend seulement du bien penser" (Alain).

Il fallut attendre Kant (à la fin du XVIIIe s.) pour y voir plus clair : ni l'observation seule ni le raisonnement seul, pas plus que la raison seule en général, ne peuvent tout nous découvrir : "Il faut donc que la raison se présente à la nature tenant, d'une main, ses principes qui seuls peuvent donner aux phénomènes concordant entre eux l'autorité de lois, et de l'autre, l'expérimentation qu'elle a imaginée d'après ces principes, pour être instruite par elle, il est vrai, mais non pas comme un écolier qui se laisse dire tout ce qu'il plaît au maître, mais, au contraire, comme un juge en fonction qui force les témoins à répondre aux questions qu'il leur pose." (texte ici). En d'autres termes, il fallut réviser de fond en comble l'idée que nous nous faisions et de la raison et de l'expérience, pour enfin comprendre qu'on ne peut rien comprendre sans raisonner, mais aussi qu'un raisonnement correct peut nous tromper. La science, telle qu'elle est définie depuis Kant, est donc rationnelle, sans être exclusivement "raisonneuse", comme Descartes en avait formé le projet. Sur ce point, vous pourriez consulter (entre autres) cet ancien message de Philia.

Voilà. Il est possible, bien sûr, d'orienter la réflexion dans d'autres directions, et même dans des directions très différentes de celles qui viennent d'être évoquées. Songez par exemple à la question de l'inconscient, qui, par définition se dissimule à nous : comment pourrait-on l'atteindre par le raisonnement ? Ou encore : comment ne pas admettre que "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas" (Pascal) ?...

Pour finir, une brève réponse à votre souci de "savoir si une citation tirée des évangiles pouvait être nuisible dans le sens que nous étudions des philosophes mais très peu d'artistes (alors qu'il me semble que l'on peut associer philosophie et art) ou d'écrits qui ne soient pas de Freud, Kant ou encore Aristote." Réponse brève et toute simple : vous avez le droit de ne "citer" ou de n'évoquer personne. Il existe d'ailleurs de grands textes philosophiques classiques dans lesquels les auteurs ne font référence à aucun devancier — preuve, s'il en fallait une, que faire référence à des auteurs n'est nullement obligatoire. Toutefois, il est vrai que la philosophie est une "tradition", qui, comme telle, constitue une histoire (l'histoire de la pensée, notamment de la pensée occidentale). Il n'y a donc aucune raison de se priver de citer ou simplement d'évoquer un philosophe ou une philosophie, mais il est bien évident que vous avez aussi le droit d'évoquer des textes littéraires ou religieux, ou même des oeuvres artistiques — picturales ou musicales, ou encore des écrits scientifiques : la philosophie est partout, y compris hors de la philosophie !

Acceptez, de nouveau, mes excuses, et recevez, si vous voulez bien, toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 117

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