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 COURRIER

édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Ne te dis jamais philosophe (texte d'Epictète)...
23/01/2007

De blackmamba974@... le 23/01/2007 : "Bonjour Philia. Je suis en train de travailler sur un texte d'Epictète et plus particulièrement le chapitre 46 de ce dernier. J'aurai voulu savoir s'il y a un philosophe qui serait allé contre la pensée d'Epictète et qui au contraire favoriserait la parole ? J'ai du mal aussi à comprendre l'exemple qu'il donne avec Socrate. Socrate souffre donc de ne pas parler et d'avoir mis de côté toute ostentation ? Car Epictète note que Socrate menaient les jeunes gens "souffrant ainsi, sans se plaindre". N'est-ce pas paradoxale ? Epictète enseigne [...] que la clé pour être philosophe c'est de ne pas se dire philosophe et d'appliquer les maximes sans les clamer haut et fort. Alors si Socrate a souffert de cela, ce n'est pas une bonne méthode ? A moins que j'aie mal compris... J'attends votre réponse avec impatience, je sais que vous êtes débordé en tant que professeur ! Merci d'avance".

=> 25/01/07 : Bonjour. J'avoue être parfois tenté de m'adresser ce conseil : "Ne te dis jamais professeur de philosophie..." ;-(

Sérieusement, je crois bien avoir identifié la traduction du Manuel que vous utilisez (grâce au mot maxime et à la formule "souffrant ainsi, sans se plaindre"). Il s'agit, sauf erreur, d'une traduction ancienne, qui vaut... ce qu'elle vaut. Toujours est-il qu'il me semble que vous faites fausse route en comprenant que « Socrate menaient les jeunes gens "souffrant ainsi, sans se plaindre" ». Ce n'est pas le texte, même dans la traduction utilisée (voir ci-après) : Socrate conduisait les jeunes gens, à leur demande, auprès d'autres philosophes (sous-entendu : manifestement de seconde importance), sans se plaindre, souffrant ainsi le peu de cas qu'on faisait de lui. Vous avez "tronçonné" la phrase, et vous avez alors vu le pauvre Socrate souffrir : c'est une erreur. Il ne souffre pas, il supporte, en quelque sorte dans l'indifférence ("stoïquement", serait-on tenté de dire), car il sait qu'être philosophe ne consiste pas à avoir la réputation d'être philosophe, et encore moins, comme le dit Epictète, de se dire philosophe, et même grand philosophe. Pour le confirmer, on peut citer d'autres traductions, qui n'utilisent pas le verbe souffrir. Par exemple : "il [= Socrate] s'était si bien débarrassé de toute envie de briller que, lorsqu'on venait le trouver pour se faire présenter à des philosophes, c'était lui qui conduisait les gens, tant il lui était égal d'être méconnu." Par parenthèse, on peut voir là une allusion au Protagoras de Platon, dans ce passage où ce dialogue évoque Hippocrate réveillant Socrate pour qu'il le conduise chez Protagoras (Platon, Protagoras, 310a-311a).

Autre chose : la première phrase ("
ne débite point de belles maximes...") est plus couramment traduite ainsi : "Ne parle pas longuement, devant des profanes, des principes de la philosophie, agis plutôt suivant ces principes." Une maxime est une règle d'action ; un principe est un énoncé fondateur. Or c'est évidemment essentiel, et sans doute même l'essentiel ici : Epictète veut dire que si la philosophie a besoin d'être fondée sur des principes, elle ne consiste pas en principes. La philosophie est non pas un discours, plus ou moins littéraire, mais une attitude pratique : il faut donc prendre au pied de la lettre l'expression faire de la philosophie, puisque être philosophe, ce n'est pas d'abord parler — ou écrire — philosophiquement, mais agir philosophiquement. La tâche du vrai philosophe est de vivre, tout simplement — si l'on peut dire — et la philosophie est donc avant tout un art de vivre. Le reste (la recherche des principes, l'énoncé des maximes : tout ce qui est du ressort de la philosophie spéculative) n'est certainement pas sans valeur et sans intérêt, mais doit être considéré comme l'affaire de spécialistes (c'est le concept "scolastique" de la philosophie, dirait Kant), et n'a donc pas à être énoncé auprès des profanes (les ignorants, dans cette traduction). Et, de toute façon, le philosophe devrait toujours garder à l'esprit que le savoir être vaut mille fois que le savoir en lui-même, au point qu'il ne doit pas être froissé si l'on lui dit qu'il est un ignorant... Demande-t-on aux brebis de montrer qu'elles ont bien mangé, ou de connaître l'anatomie et le fonctionnement de l'appareil digestif ? N'attend-on pas d'elles, bien plutôt, qu'elles "produisent de la laine et du lait" ? Manger et ruminer sont sans doute des moments nécessaires, mais ce qui compte, c'est ce que manger et ruminer produisent. Aussi le philosophe doit-il se montrer philosophe, en agissant philosophiquement, plutôt que de se dire philosophe et de "parler philosophie".

Cette insistance sur la pratique n'est pas isolée dans l'Antiquité, et on peut la retrouver par exemple chez Socrate (et ce n'est donc pas un hasard si sa mémoire est invoquée par Epictète), ou encore chez Diogène le cynique, ce philosophe dont on a pu dire qu'il était "Socrate devenu fou", et qui préférait toujours agir plutôt que parler...


Voici le texte :

XLVI. Ne te dis jamais philosophe, et ne débite point de belles maximes devant les ignorants ; fais plutôt ce que ces maximes prescrivent. Par exemple, dans un festin, ne dis pas comment il faut manger, mais mange comme il faut. Et souviens-toi qu'en tout et partout Socrate a ainsi rejeté toute ostentation et tout faste. Des jeunes gens allaient le prier de les recommander à d'autres philosophes, et il les leur conduisait, souffrant ainsi, sans se plaindre, le peu de cas qu'on faisait de lui.

S'il arrive donc qu'on vienne à parler de quelque belle question devant les ignorants, garde le silence ; car il y a grand danger à rendre aussitôt ce que tu n'as pas digéré. Et lorsque quelqu'un te reprochera que tu ne sais rien, si tu n'es point piqué de ce reproche, sache alors que tu commences à être philosophe. Car les brebis ne vont pas montrer à leurs bergers combien elles ont mangé, mais après avoir bien digéré la pâture qu'elles ont prise, elles produisent de la laine et du lait. Toi aussi, ne débite point aux ignorants de belles maximes ; mais, si tu les as bien digérées, fais-le paraître par tes actions.

Bon courage pour la suite. Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 116

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