![]() 16/11/2006 |
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Cette demande de migmigportos@... le 16/11/2006 (nuitamment) : "Bonjour. J'ai consulté votre site, et j'y ai trouvé beaucoup de points intéressants dans vos réponses aux autres ''demandeurs''... Maintenant, à mon tour de faire une demande, et j'espère que je trouverai dans votre réponse autant d'aide que ce que j'en ai trouvé chez les autres ! Mon sujet de dissertation est : ''Est-il juste d'affirmer que l'activité technique dévalorise toujours l'homme ?''. Pour orienter ma réflexion, j'ai déjà lu (sur votre site) la réponse à ''La Technique peut-être changer l'Ethique ?'' et ''Pouvoir et Technique''. J'ai des idées, mais je manque de structure pour le plan. J'ai pensé que je pourrais dire dans les deux premières parties EN QUOI la technique dévalorise l'homme, et, dans la troisième partie, que toutefois, elle ne le dévalorise pas ''TOUJOURS''.
II- La technique "se retourne contre" l'homme :
III- Toutefois, on ne peut pas dire que la technique soit ''toujours'' une activité dévalorisante pour l'homme :
Voilà. Je trouve que mon plan manque de sous-parties. Je n'ai que deux sous-parties par axe. |
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=> 26/11/06 : Bonjour chère migmig... Je suis vraiment totalement désolé pour ce retard. Croyez bien, cependant, que j'ai bien lu votre dernière phrase : "J'attends impatiemment votre aide" mais j'ai une semaine à bien des points de vue très agitée, et je n'ai pas eu une seconde à moi, ni, donc, à vous consacrer. Il est peut-être bien trop tard, mais bon...
Comme je vous le disais en réceptionnant votre message, les éléments que vous mentionnez laissent déjà augurer un devoir très riche, et laissent penser que vous avez déjà pensé attentivement la question de la technique... J'ajoutais toutefois que certains points peuvent être améliorés. Voyons donc ces points que vous pourriez améliorer. Il me semble que le principal "péché" de votre travail tient à ce qu'il ne semble pas s'appuyer sur une analyse suffisamment précise du sujet. Vous vous demandez, il est vrai, s'il y a lieu de tenir compte de la formulation : "Est-il juste d'affirmer que... ?" Pour vous répondre, on peut penser que le sujet suggère, de cette façon, que l'accusation en question est loin d'être exceptionnelle, sans toutefois être vraiment pensée. Il s'agira donc, dans le devoir, de procéder à l'examen d'une affirmation qui est peut-être trop "rapide", ou qui est énoncée "à l'emporte pièce", sans nuances (voyez l'adverbe "toujours" suggérant particulièrement cet aspect), comme si tout, dans toutes les techniques, était toujours mauvais pour l'homme. En fait, on vous invite à être nuancée, en procédant à des analyses détaillées. Ce n'est donc pas vraiment original (tout sujet de philosophie y invite), même si, il est vrai, cette formulation renvoie manifestement à un certain état actuel du développement technique. Deuxième élément : le verbe dévaloriser. Dans votre I, vous développez l'idée que la technique peut "nuire à l'humanité", puis, dans votre II, qu'elle "se retourne contre" l'homme. Ces interprétations sont intéressantes. Pourtant, ne pourriez-vous pas vous tenir un peu plus près du sens du mot dévaloriser ? Dévaloriser, c'est, littéralement, ôter ou réduire la valeur. Cela pourrait sûrement être plus net dans vos propos. Ainsi, qu'est-ce qui fait la valeur de l'homme ? est une question qu'il faut certainement se poser pour bien comprendre ce que le sujet demande. Kant, par exemple, évoque la valeur absolue de l'homme, qui ne doit jamais être traité comme un simple moyen mais toujours comme une fin en soi. Nous devons en effet observer, vis à vis de l'humanité, un impératif catégorique, c'est-à-dire inconditionnel : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen." Cet impératif est la formule de notre devoir moral. Plus précisément, dévaloriser l'homme, ce serait ne pas respecter l'homme, qui justement se définit par sa nature raisonnable. Or, les impératifs techniques ne sont pas des impératifs catégoriques / inconditionnels. Ils ne nous obligent pas absolument, mais seulement de façon conditionnelle. Ainsi, nous pouvons dire que si nous voulons franchir le fleuve aisément et rapidement, nous devons construire un pont. Mais nous ne pouvons pas dire que nous devons absolument construire un pont : la technique n'est qu'un moyen au service de fins qui ne sont pas absolument impératives. Pour le dire autrement, la technique désigne un mode d'action rationnel, qui n'est pas nécessairement raisonnable. Ainsi, les grandes firmes industrielles allemandes des années 40 (dont nous tairons ici les noms...) ne se sont pas faites prier pour fournir des camps de la mort clés en mains pour satisfaire la demande de l'Etat nazi : la raison purement instrumentale qui est l'organe de la technique est incapable de nous orienter sur le plan moral, et l'on pourrait donc dire que la raison morale a sa "logique" que la raison technique ne connaît pas. La technique n'est, en ce sens, ni "bonne", ni "mauvaise", ni raisonnable ni déraisonnable en soi. Elle est donc capable d'être bonne ou mauvaise, c'est-à-dire favorable au respect de l'homme ou au contraire destructrice de ce qu'il y a de proprement humain en l'homme, savoir : la raison, ou, pour parler plus précisément, et en utilisant le vocabulaire de Kant, la raison pratique, dont la maxime est, ainsi que nous le disions, l'impératif catégorique. Troisièmement : vous pourriez probablement exploiter davantage, ou, du moins, de façon plus organisée la notion de technique. Dans votre plan, vous évoquez surtout, en effet, les objets techniques comme autant de produits dans un contexte de consommation : le téléphone portable, le métro,... Mais, avant d'être des produits, ces moyens sont d'abord produits : la technique n'est pas seulement le milieu dans lequel nous vivons, cet environnement peuplé d'objets, d'instruments, de machines, de véhicules. La technique, c'est aussi le travail technique, dont la fin est la production, même si, il est vrai, la production a elle-même pour fin le commerce et la rentabilité économique rendue possible par la consommation : on produit des téléphones mobiles pour fournir un moyen de satisfaire un besoin de communication à distance, mais aussi pour augmenter les profits des firmes qui les fabriquent et des opérateurs, aussi, qui ne sont pas les derniers à se frotter les mains ! Je n'en dis pas plus, mais la technicité du travail constitue évidemment un aspect important de la question. Sur le fond, enfin : votre plan gagnerait certainement à mieux distinguer la technique, des prétentions de la technique. Pensez-y bien : aujourd'hui, il y a des techniques pour tout : non seulement pour fabriquer des téléphones miniatures qui permettent de prendre des photos, d'écouter de la musique, et même, de téléphoner (en attendant qu'ils soient capables de faire du café !), ou bien des avions, des trains, des métros, des ordinateurs, des textiles, des logements, des aliments, etc., mais aussi pour panser ses blessures psychiques (antidépresseurs), pour gouverner, pour gérer, pour jouer de la musique, pour conduire une voiture, pour bien faire l'amour, pour résoudre des problèmes de mathématiques, et même pour faire des dissertations de philosophie... Il est alors facile de croire que la technique peut fournir des solutions pour résoudre tous les problèmes. Or, parce qu'elle n'est qu'un moyen, elle ne peut se penser elle-même : il n'y a pas de mode d'emploi technique de la technique ; la technique ne peut pas orienter la technique. Pourtant, elle peut prétendre tout régenter, y compris elle-même, et y compris la pensée elle-même. N'ôte-t-elle pas, en ce sens, toute valeur à l'être de pensée que nous sommes ? Il faudrait peut-être, pour approfondir vraiment ce point, définir la technique moderne comme une entreprise de réduction. Ainsi, il faut se souvenir que la technique moderne doit nous apparaître, telle que se manifeste dès la première révolution industrielle (aux XVIIIe et XIXe siècles), comme l'héritière de la révolution scientifique du XVIIe siècle. Or, la science moderne naissante, pour produire ses connaissances, a opéré par réduction. Ainsi, Descartes considère l'animal comme une machine naturelle (théorie mécaniste : les animaux-machines) : il réduit donc le vivant au mécanique. Mieux : puisque la biologie n'est qu'une branche de la physique, puisque la mécanique est science du mouvement, il faut réduire toute la physiologie à de la géométrie. Comme vous savez sans doute, Descartes n'est pas allé jusqu'à confondre l'âme et le cerveau... mais le pas a été franchi dès le siècle suivant (La Mettrie). Ne dit-on pas, aujourd'hui, que l'ordinateur est une sorte de cerveau artificiel... comme le cerveau peut être vu comme un ordinateur naturel ? De même, explique Heidegger, la centrale électrique fait disparaître le fleuve comme tel, dans la mesure où elle le réduit à une force hydraulique : "ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est de par l'essence de la centrale." De même encore, la matière (= l'atome) est réduite par la technique nucléaire à l'énergie. Etc. Il faudrait pourtant rappeler, avec Bergson, que la technique a une origine et une raison d'être spirituelles. Le problème est que la technique moderne a démesurément augmenté notre puissance et agrandi notre corps, alors que, dans le même temps, "dans ce corps démesurément grossi, l'âme reste ce qu'elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger", ce qui fait dire à Bergson que ce corps agrandi "attend un supplément d'âme". Pour finir, ne manquez pas de lire (ou de relire) le fameux mythe de Prométhée, si riche d'enseignement, raconté par Platon dans son Protagoras. N'hésitez pas à donner de vos nouvelles. Encore toutes mes excuses. Et avec toutes mes... |
-: Amitiés :- P h i l i a.
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