Chargement en cours . . . 

Courrier PHILIA

 Philia [accueil]...    imprimer ce document...   fermer cette fenêtre...

COURRIER


 

Peut-on souhaiter l'inconscience ?...
01/11/2006

Le 01/11/2006, de Marina : "Bonjour. Je dois rendre une dissertation à la rentrée. J'ai commencé à travailler dessus mais je rencontre quelques difficultés. Mon sujet est le suivant : Peut-on souhaiter l'inconscience ? J'ai commencé par définir les termes du sujet. J'ai assimilé "souhait" à désir. Je pense qu'il faut différencier l'inconscient et l'inconscience : dans ce sujet, il s'agit juste de l'absence de conscience, c'est un état. Pour le "peut-on" j'ai lu qu'il fallait distinguer la possibilité technique et la possibilité morale, est-ce le cas pour ce sujet ?
En ce qui concerne le développement, j'ai pensé à un plan dialectique, mais c'est là où j'ai quelques problèmes. J'ai du mal à bien déterminer mes parties :
- 1e partie : les raisons qui poussent à souhaiter l'inconscience, c'est donc "techniquement" possible.
- 2e partie : la conscience est le propre de l'homme, on se doit d'être responsable.
- 3e partie : je bloque... J'ai quelques idées mais pas assez pour toute une partie : légitimité ?
Voilà où j'en suis actuellement. J'ai également du mal à déterminer les concepts ou notions que je vais devoir définir dans le développement. Je ne trouve pas d'exemples concrets ou de références à des auteurs qui coïncident avec mes idées.
Merci de votre aide.
"

=> 04/11/06 : Bonjour Marina. Vous avez déjà exploré des pistes intéressantes. Voyons de plus près...

D'abord - d'avance pardon - un défaut de méthode ;-(

Comme je l'expliquais en réponse à un message très récent (d'ailleurs sur un sujet voisin du vôtre), s'il faut définir les termes qui apparaissent dans la question (ici : <l'inconscience>, <souhaiter>, ...) pour comprendre la question... il ne faut pas oublier qu'il faut aussi, en quelque sorte, comprendre la question pour saisir le sens à accorder à ses composants. Ainsi, vous semblez avoir raison, "dans l'absolu", lorsque vous écrivez qu' "il faut différencier l'inconscient et l'inconscience : dans ce sujet, il s'agit juste de l'absence de conscience, c'est un état". Cependant, n'est-ce pas restrictif ? L'idée d'inconscient telle qu'elle est dégagée notamment par la psychanalyse, est certes fort différente du terme simplement descriptif d'inconscience : en effet, selon la célèbre formule de Freud, "l'inconscient, c'est le refoulé", c'est-à-dire le produit du refoulement, mouvement lui-même inconscient (à la différence du rejet conscient) qui est l'oeuvre de la censure... instance elle-même inconsciente. Ce modèle - qui n'est d'ailleurs qu'un premier jet dans l'oeuvre de Freud - peut être dit dynamique (du grec dynamis, "force") parce qu'il considère l'inconscient comme la résolution d'un conflit psychique sous l'effet d'une force : dans cette conception, l'inconscient est moins ce qui n'est pas conscient que ce qui résiste à le devenir (ou à le rester). Ou encore : les faits psychiques inconscients sont des pensées empêchées. Toutefois, la formulation du sujet n'est pas aussi "technique" : on remarque notamment l'utilisation du pronom impersonnel <on> ("peut-on"), qui peut suggérer que ce n'est pas nécessairement le moi conscient qui souhaite... Et puis rien n'empêche de dire que l'inconscient est source d'inconscience : la censure, le refoulement, le refoulé, tous ces termes désignent des faits qui se produisent en nous, mais sans nous, c'est-à-dire à notre insu, sans notre participation consciente, et donc dans l'inconscience. Enfin, l'inconscience peut être entendu en un sens relatif : ainsi, on peut souhaiter s'étourdir, par le "divertissement" par exemple (Pascal), sans pour autant vouloir dormir ou vouloir mourir. De même, la conscience immédiate peut être inconscience de soi...

Le verbe souhaiter, quant à lui, suggère un certain flou. Vous le ramenez à <désirer> ; cependant, on pourrait l'en distinguer, car le souhait est un désir faible. Pour Kant, par exemple, il est "le fait de désirer un objet sans qu'on applique ses forces à le produire" (in Anthropologie, Livre III, éd. Vrin, p. 109). Lorsque nous souhaitons quelque bien, nous désirons que ce bien nous échoie, mais sans nous y appliquer, et en sachant donc qu'il se peut que nous ne puissions jamais nous procurer ce bien. Par exemple, celui qui souhaite vivre jusqu'à un âge avancé ne soutiendra peut-être pas nécessairement son effort pour se ménager et rester longtemps en bonne santé, et de toute façon sait pertinemment qu'il ne dépend pas que de lui de vivre ainsi longtemps. Le souhait se rapproche ainsi du voeu, et on pourrait dire que celui qui souhaite consciemment l'inconscience "voudrait bien" se débarrasser de sa conscience, mais tout en sachant bien que cet état est difficile, voire impossible à atteindre. Il se dit seulement que "tout irait mieux", probablement si c'était possible : le souhait est un désir suspendu à des conditions qui ne dépendent pas vraiment, ou pas entièrement de nous.

Enfin, remarquez bien que si le souhait est entendu au sens habituel de désir conscient (etc.), on peut souligner le caractère paradoxal du souhait d'inconscience : souhaiter l'inconscience est le fait d'une conscience (qui ne s'aime plus, qui cherche à s'échapper à elle-même...). Comment pourrait-elle y parvenir ? Pensez à la difficulté de l'endormissement quand on s'acharne - consciemment - à vouloir dormir, ou encore au souhait d'oublier, qui porte nécessairement en lui le souvenir de ce qu'il faudrait oublier !

En revanche, vous faites bien de vous demander quelle valeur attribuer au verbe pouvoir ("peut-on") : il peut (!) en effet renvoyer à la possibilité, ou à la capacité, mais aussi à la légitimité, au droit - comme dans la phrase : "puis-je fumer ?". Vous pouvez (...décidément !) utiliser cette ambiguïté dans votre développement, et c'est d'ailleurs, me semble-t-il, ce que vous proposez de faire, lorsque vous pensez traiter le "["techniquement"] possible" en (1), et ce que l' "on se doit" en (2) : c'est sans doute possible, mais ce n'est pas légitime, parce que nous sommes humains, et que la conscience est le propre de l'homme...

Votre plan est correct. Toutefois, vous pourriez l'enrichir en explicitant quelles sont ces "les raisons qui poussent à souhaiter l'inconscience". En effet, on peut penser que la conscience est un obstacle au bonheur. L'existence humaine est malheureuse, parce que l'homme se sait exister, c'est-à-dire parce qu'il pense. C'est là un thème très "pascalien". Voyez toute la liasse intitulée Misère de l'homme des Pensées. Un extrait dans >> Philia << : "C'est [donc] être misérable, écrit Pascal, que de se connaître misérable" ; mais il ajoute aussitôt que "c'est être grand que de connaître qu'on est misérable". D'où il tire que "notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale".

Mais le souhait de l'inconscience peut aussi s'expliquer par la culpabilité de la conscience : la conscience est coupable ou se sent coupable, et souhaite à cause de cela se perdre. Pour la psychanalyse, cette culpabilité est souvent inconsciente, mais surtout le "souhait" de l'inconscience est l'affaire de l'inconscient. Selon Sartre, c'est plutôt l'affaire de la conscience, qui tout en étant liberté et responsabilité, souhaite disparaître comme liberté et comme responsabilité : c'est la mauvaise foi, celle qui nous fait dire (et croire !) que "nous n'y sommes pour rien", et même, que "nous n'avons rien vu venir" (ou "rien fait"), alors que, manifestement, nous avons tout vu (et "tout fait")... Cette dualité de la conscience, qui à la fois s'affirme et se nie elle-même, est, comme on s'en doute, au coeur de la question morale, et la mauvaise foi est une bien mauvaise solution.

A voir, peut-être, pour finir (?), des éléments pour traiter un sujet assez différent, mais néanmoins apparenté : La prise de conscience est-elle une souffrance ?

Ces quelques indications vous "inspirent"-elles ? Normalement, elles devraient vous mettre sur la voie d'un plan enrichi... que je ne vous ferai pas le plaisir de vous bâtir : c'est à vous que ce sujet a été donné, et votre gentil(le) professeur aurait raison de me gronder si j'allais jusqu'à faire votre devoir !

N'hésitez pas à donner de vos nouvelles. Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 110






            


 - Contrat Creative Commons (certains droits réservés) -