Chargement en cours . . . 
COURRIER

 télécharger / imprimer la page...
page précédente...
dossiers, lexiques, textes, ...
la dissertation, le commentaire...
mises à jour, projets...
moteurs de recherche...
Philia [accueil]
   Mots clés :
Moteur actif Cléphi  
courrier - contacter - Philia -
Vous êtes ici :

 La messagerie de Philia
 COURRIER

édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Le sentiment d'injustice...
09/06/2006

From Appletree le 09/06/2006 : "Bonjour. Je cherche des lectures sur le sentiment d'injustice mais je ne trouve pas grand chose (il me semble que Freud dit quelque part que celui-ci peut engendrer des 'monstres', en citant Richard III). Auriez-vous des ouvrages à me conseiller ?"

=> 10/06/2006 : Bonjour chère appletree.

L'injustice est toujours pensée comme un mal. Parfois même comme le mal par excellence : le malade, par exemple, peut avoir le sentiment que son mal lui échoit injustement. Pourtant, il est évident que le sentiment d'injustice n'est... qu'un sentiment, et ne désigne donc, comme tel, qu'un fait subjectif, au point qu'il n'est peut-être pas la meilleure preuve d'une injustice vraiment subie. Néanmoins, on peut penser qu'il doit être éprouvé par chacun, afin de nous faire accéder à l'idée de justice. Voir sur ce point l'expérience cruelle menée par le célèbre Dr Jean Itard sur le non moins célèbre Victor, enfant sauvage trouvé en Aveyron au tout début du XIXe s. Itard s'interroge sur le vécu de son jeune protégé, qu'il récompensait lorsqu'il se conduisait "correctement", tandis qu'il lui semblait que Victor n'évitait de "mal" faire que par crainte de la punition. Qu'en était-il en réalité ? Victor avait-il le sentiment du juste et de l'injuste, le "sentiment intérieur de la justice", "le sentiment désintéressé de l'ordre moral", ou bien agissait-il tel un animal plus ou moins bien dressé ?

"[...] Pour éclairer ce doute, et avoir un résultat moins équivoque, je crus devoir mettre le coeur de mon élève à l'épreuve d'une autre espèce d'injustice qui, n'ayant aucun rapport avec la nature de la faute, ne parût pas en être le châtiment mérité, et fût par là aussi odieuse que révoltante. Je choisis, pour cette expérience vraiment pénible, un jour où, tenant depuis plus de deux heures Victor occupé à nos procédés d'instruction et, satisfait de sa docilité et de son intelligence, je n'avais que des éloges et des récompenses à lui prodiguer. Il s'y attendait sans doute, à en juger par l'air qui se peignait sur tous ses traits, comme dans toutes les attitudes de son corps. Mais quel ne fut pas son étonnement de voir qu'au lieu des récompenses accoutumées, qu'au lieu de ces manières auxquelles il avait tant de droit de s'attendre, et qu'il ne recevait jamais sans les plus vives démonstrations de joie, prenant tout à coup une figure sévère et menaçante, effaçant, avec tous les signes extérieurs du mécontentement, ce que je venais de louer et d'applaudir, dispersant dans tous les coins de sa chambre ses cahiers et ses cartons, et le saisissant enfin lui-même par le bras, je 1'entraînais avec violence vers un cabinet noir qui, dans les commencements de son séjour à Paris lui avait quelquefois servi de prison. Il se laissa conduire avec résignation jusque près du seuil de la porte. Là, sortant tout à coup de son obéissance accoutumée, s'arc-boutant par les pieds et par les mains contre les montants de la porte, il mopposa une résistance des plus vigoureuses et qui me flatta d'autant plus qu'elle était toute nouvelle pour lui, et que jamais, prêt à subir une pareille punition alors qu'elle était méritée, il n'avait démenti un seul instant sa soumission par l'hésitation la plus légère. J'insistai néanmoins pour voir jusqu'à quel point il porterait sa résistance, et faisant usage de toutes mes forces, je voulus l'enlever de terre pour l'entraîner dans le cabinet. Cette dernière tentative excita toute sa fureur. Outré d'indignation, rouge de colère, il se débattait dans mes bras avec une violence qui rendit pendant quelques minutes mes efforts infructueux; mais enfin, se sentant prêt à ployer sous la loi du plus fort, il eut recours à la dernière ressource du faible ; il se jeta sur ma main, et y laissa la trace profonde de ses dents. Qu'il m'eût été doux en ce moment, de pouvoir me faire entendre de mon élève, et de lui dire jusqu'à quel point la douleur même de sa morsure me remplissait mon âme de satisfaction et me dédommageait de toutes mes peines ! Pouvais-je m'en réjouir faiblement ? C'était un acte de vengeance bien légitime ; c'était une preuve incontestable que le sentiment du juste et de l'injuste, cette base éternelle de l'ordre social, n'était plus étranger au coeur de mon élève. En lui donnant ce sentiment, ou plutôt en en provoquant le développement, je venais d'élever l'homme sauvage à toute la hauteur de l'homme moral par le plus tranché de ses caractères et la plus noble de ses attributions."

J. ITARD, Rapport sur Victor de l'Aveyron

Vous trouverez ce texte (1806), ainsi que le premier Mémoire (1801), dans le petit livre de Lucien Malson, Les enfants sauvages, dans la collection 10/18. On trouve aussi ces deux petits textes sur internet (site : Les Classiques des Sciences Sociales).

Le sentiment d'injustice peut n'être qu'un vécu d'impuissance, nous invitant à la résignation ou engendrant le ressentiment, mais il peut aussi déboucher, de façon plus concrète, sur la révolte, attitude revendicative active qui fait accéder à l'humanité comme valeur :

"Si confusément que ce soit, une prise de conscience naît du mouvement de révolte : la perception, soudain éclatante, qu'il y a dans l'homme quelque chose à quoi l'homme peut s'identifier, fût-ce pour un temps. Cette identification jusqu'ici n'était pas sentie réellement. Toutes les exactions antérieures au mouvement d'insurrection, l'esclave les souffrait. Souvent même, il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu'il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l'impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s'étendre à tout ce qui, auparavant, était accepté. Cet élan est presque toujours rétroactif. L'esclave, à l'instant où il rejette l'ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l'état d'esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu'il n'était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu'il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en gal. Ce qui était d'abord une résistance irréductible de l'homme devient l'homme tout entier qui s'identifie à elle et s'y résume. Cette part de lui-même qu'il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. Installé auparavant dans un compromis, l'esclave se jette d'un coup (" puisque c'est ainsi... ") dans le Tout ou Rien. La conscience vient au jour avec la révolte."

Albert Camus, L'homme révolté, éd. Gallimard, coll. folio-essais, p. 28

...Cependant, la révolte peut-elle si facilement se distinguer de la colère, qui est une passion ? La colère est, dit Spinoza, "le désir qui nous pousse à faire, par haine, du mal à celui que nous haïssons" (Ethique, III, Déf. XXXVI). Elle n'est pas une vertu, comme le courage, mais un affect. Vous pourriez lire aussi, à ce sujet le De la colère de Sénèque, disponible dans une version libre sur WikiSource. Un beau texte.

Une autre idée : Rousseau, Confessions - l'épisode du peigne cassé...

"Qu'on se figure un caractère timide et docile dans la vie ordinaire, mais ardent, fier, indomptable dans les passions ; un enfant toujours gouverné par la voix de la raison, toujours traité avec douceur, équité, complaisance ; qui n'avait pas même l'idée de l'injustice, et qui, pour la première fois en éprouve une si terrible, de la part précisément des gens qu'il chérit et qu'il respecte le plus. Quel renversement d'idées ! quel désordre de sentiments ! quel bouleversement dans son coeur, dans sa cervelle, dans tout son petit être intelligent et moral ! Je dis, qu'on s'imagine tout cela, s'il est possible ; car pour moi, je ne me sens pas capable de démêler, de suivre, la moindre trace de ce qui se passait alors en moi."

Voir le texte par exemple ici.

Enfin, à propos de la conception freudienne du mal, vous trouverez un document suggestif publié par Edutemps ("portail à destination des étudiants et des enseignants...", Edutemps dixit) : Explications du mal (document PDF, ~ 206 Ko) par Christian Godin. Extrait de : Questions de philosophie : Le Mal, par Christian Godin - Editions du temps, Paris, 2001-06. - 120 p. - ISBN 2842741722. Dans le chapitre proposé, l'auteur évoque les "explications du mal", celle de Freud compris.

Si je pense à autre chose, j'y reviendrai.

D'ici là, recevez toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 101

 messages et formulaire...
 précédent... |      Lire      |  suivant...
| Intervenir |
 intervenir...



Moteur actif : Cléphi

changer le moteur =>  Cléphi  | Zoom | X-Recherche | aide

 remonter



            


 - Contrat Creative Commons (certains droits réservés) -



- Encyclopédie -