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La messagerie de Philia COURRIER édition originale 16-03-2003 actualisée le 12-05-2008 |
La route tracée d'avance et qui monte toujours (texte d'Alain)... 30/12/2005 |
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De Michirica le 30/12/2005 : "Ce site est vraiment génial et très agréable ! Je suis en terminale et la philosophie me passionne mais je ne suis pas une "pro", vraiment... J'aurais quelques petites questions sur le texte d'Alain sur le progrès si vous pouviez y répondre... : il y a deux phrases sur lesquelles j'aimerais être eclairée : "ce que je vois de faux, dans cette image c'est cette route tracée d'avance et qui monte toujours", mais aussi le terme de "progrès fatal" - ça me laisse perplexe ! Finalement, pour Alain, l'idée de progrès n'est pas vraiment acceptable ? Enfin, si, mais à quelles conditions ? Voilà mes petites (grandes) interrogations. A très bientôt ! " |
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=> 19/01/2006 : Bonjour Michirica et merci de votre appréciation. Un gros souci de santé m'a empêché de vous répondre plus tôt, et j'imagine que, depuis le temps, vous avez dû rendre votre devoir... Désolé donc, mais voici tout de même quelques éclaircissements concernant ce beau texte d'Alain. Vous avez raison de supposer qu'Alain ne remet pas en cause l'idée qu'il y a un progrès, que les hommes d'aujourd'hui sont plus savants et meilleurs techniciens que ceux d'hier. Cependant, selon cet auteur, l'histoire humaine ne doit pas, pour autant, être conçue comme un "progrès fatal". Ce qui nous trompe, écrit-il dès le début, c'est cette "belle image" de "la route en lacets qui monte [...] toujours", car elle suggère que le progrès a lieu en quelque sorte sans nous, que nous en sommes les acteurs seulement, et nullement les auteurs - comme si aucune volonté et aucune liberté n'étaient requises à cette fin, de sorte que même "le bon et le méchant, le sage et le fou poussent dans le même sens, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non" (c'est moi qui souligne). En arrière plan de ce texte, bien que vous n'êtes pas censée le savoir, il y a les philosophies de l'histoire, qui ont fleuri, sous diverses formes, au cours du XIXe siècle. Ces philosophies ont en effet voulu ramener l'histoire universelle de l'homme à la longue marche de l'Esprit (Hegel) s'incarnant à travers les oeuvres humaines, comme si "l'Universel" (= l'Esprit) devait inéluctablement advenir à travers les actions particulières des hommes particuliers, comme si, donc, les hommes étaient les jouets de ce destin tout tracé. Selon Hegel, "ce qui est réel est rationnel", mais aussi "ce qui est rationnel est réel", c'est-à-dire doit nécessairement advenir. Voilà précisément pourquoi Alain évoque "le bon et le méchant", "le sage et le fou" : tous contribueraient également (indifféremment donc) à l'avènement de la Raison. Mais comment est-ce possible ? Comment peut-on croire que le fou (l'homme déraisonnable) contribue à faire advenir la Raison ? Et comment croire que le méchant puisse contribuer au Bien ? On comprend qu'Alain évoque ici la critique déjà fort ancienne de Voltaire (à travers l'évocation du ridicule de son personnage, Pangloss, qui "louait la Providence, de ce qu'elle fait sortir un petit bien de tant de maux")... Certes, comme l'écrit Alain, on peut comprendre le sentiment de celui qui adhère à cette vision de l'histoire qui fait de l'individu "comme un faible atome en de grands tourbillons". Mais selon lui c'est une vue mystique, et sans doute aussi une vue dangereuse, puisqu'elle revient à annuler la liberté humaine : en digne héritier de Descartes, Alain est en effet, au XXe siècle, le philosophe "volontariste" par excellence. Or cette idée d'un progrès auquel l'humanité serait vouée est de nature à nier le rôle de la volonté, et de la pensée en général. Enfin, comme le note aussi Cournot (<= lire cet extrait) ce "providentialisme" peut aussi fournir un aliment au fanatisme... Raison de plus pour éviter d'y adhérer. Rappelons, à ce sujet, qu'Alain a été soldat pendant la première guerre mondiale, et qu'il n'a eu de cesse, dans son oeuvre, de dénoncer la violence fanatique à l'origine de tous les maux qui affectent l'humanité : comment peut-on soutenir encore, après tous les carnages qui ont émaillé le XXe siècle, que le progrès est une belle route en lacets qui monte toujours ? Avec encore toutes mes excuses... |
-: Amitiés :- P h i l i a.
Référence du message : ID 092
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