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COURRIER


 

Art et vérité chez Hegel...
16/12/2005

De Pascale le 16/12 : "Je travaille depuis quelques jours sur le sujet : Art et vérité chez Hegel, et je me perds dans la complexité de son raisonnement . J'ai tenté d'ébaucher un plan, je vous le soumets :

1. L'art a-t-il sa vie dans l'apparence ?
a) Le contenu de l'art laisse penser qu'il est juste un reflet de l'apparence.
b) En fait il est une représentation de l'idéal
c) La peinture exprime à travers ses techniques (couleurs, lumière) une idéalisation de l'esprit : l'art classique

2. L'art comme atteinte de l'absolu signifie-t-il qu'il est mort ?
Et là c'est le chaos total, car je n'arrive pas à créer de cohérence dans ma réflexion...
Pouvez-vous m'aider ?"

=> 20/12 : Bonjour Pascale. Je veux bien vous aider, mais votre question pourrait - et même devrait - être un peu plus claire : (1°) Avez-vous une dissertation à faire sur ce sujet ("Art et vérité chez Hegel" n'est pas un sujet de dissertation, ni en terminale ni dans le supérieur...). (2°) Je ne comprends pas bien votre 2 : voulez-vous parler du thème de la mort de l'art chez Hegel ? A vous lire. En attendant, voyez le petit livre de Gérard Bras intitulé Hegel et l'art, aux P.U.F.
21/12 : "Merci d'avoir répondu à mon message. Je comprends votre désarroi face à mon sujet. Je suis en L3 d'arts plastiques à Paris I et notre prof nous demande bien une dissertation - sujet : Art et vérité chez Hegel. Vous me rassurez car je n'arrivais pas à transformer ce sujet en dissertation. Pouvez-vous orienter mon devoir qui est à mon avis un exposé sur la pensée Hegelienne sur l'art et donc forcément de la recherche de la vérité : l'absolu.

Merci de me répondre."
=> 21/12 : Rebonjour Pascale. Je saisis mieux, mais vous postez encore votre message en cochant la case "en terminale" ;-)
Je vais tâcher de vous aiguiller un peu, mais comme votre sujet impose, à mon sens, de plonger tout entier dans la philosophie de Hegel, il me faudra un peu de temps. D'ici là, n'hésitez pas à vous procurer le petit ouvrage déjà mentionné, dont le propos correspond exactement à votre sujet. En moins de 100 pages, très éclairantes (suivies d'un choix restreint de textes caractéristiques). D'autre part, il y a un petit message dans le courrier de Philia sur Art et apparence chez Hegel : l'aviez-vous repéré ? A bientôt.

26/12 : "J'ai commandé le livre de G. Bras sur Hegel et l'art que vous m'avez conseillé. De plus, j'ai lu avec intérêt votre petit dossier sur Hegel, l'art et l'apparence, qui en effet est très intéressant. Cependant j'attends vos pistes de réflexion pour construire ma dissertation. Je vous souhaite de bonnes fêtes de fin d'année. A très bientôt."
=> 28/12 : Décidément, les fêtes de fin d'année sont des moments difficiles, pas seulement pour le foie, mais aussi pour la philosophie : je vais être obligé d'être court !!

Votre plan a du bon, et on peut, me semble-t-il, l'utiliser en partie. Voici ce que je vous propose :

  1. L'art n'a pas à mimer la réalité. La thèse de l'imitation (en grec : mimesis) de la nature est à rejeter. En effet, l'artiste qui, grâce à sa technique, imite les choses qui l'entourent joue à "un jeu présomptueux" (voir ce texte). Il ne nous donne à voir qu' "une caricature de la vie" (ibid.) : "en voulant rivaliser avec la nature par l'imitation, l'art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant" (ce texte). En d'autres termes : l'art n'a pas à reproduire la nature, et, en ce sens, aucun tableau n'a à être "vrai".

  2. Cependant, l'art a bien pour mission de révéler la vérité. En un sens en effet, l'art produit des "apparences". Mais l'apparence est "un moment essentiel de l'essence" (ce texte) : nous savons, au moins depuis Platon, que c'est "la réalité" (= ce que nous appelons ainsi) qui est illusion. => la vérité n'est pas "donnée": elle n'apparaît qu'au terme d'un travail, qui est précisément celui de l'esprit, et elle ne peut donc nous apparaître que dans une représentation. C'est en ce sens que "le but de l'art, son besoin originel, c'est de produire aux regards une représentation, une conception née de l'esprit, de la manifester comme son oeuvre propre" (ce texte). Plus précisément, son but est donc de "donner aux idées une existence sensible" (ibid.).

  3. Cette mission, toutefois, l'art l'a surtout rempli par le passé. Aujourd'hui, en effet, l'art "ne donne plus cette satisfaction des besoins spirituels, que des peuples et des temps révolus cherchaient et ne trouvaient qu'en lui [...] De ce fait, il a perdu pour nous sa vérité et sa vie". => thème de la "mort de l'art" : Hegel pense que l'art, ayant atteint déjà par le passé sa "destination suprême" (ibid.), ne pourra plus jamais remplir le rôle central qu'il eut dans "beaux jours de l'art grec, comme l'âge d'or de la fin du Moyen-Age" (ibid.). L'art nous "intéresse" (quel vilain mot en un sens !) encore. Mieux : il nous émeut toujours. Mais plus vraiment comme il intéressait et comme il émouvait par le passé. Sur "intéressant", voir Heidegger : au sens fort, "interesse [= inter-esse] veut dire : être entre et parmi les choses, se tenir au milieu d'une chose et y rester sans faiblir" (ce texte). L' "intérêt" de l'art, c'est qu'il était la pensée vivante, sous une forme sensible (visible ou audible). Il pouvait alors dire l'universel. Il ne le peut plus aujourd'hui. Toutefois : (a) si l'art est spirituel, sa vérité doit être ressaisie par la réflexion en acte => Hegel explique ainsi l'apparition de l'esthétique (= la réflexion philosophique sur l'art) au XVIIIe siècle. Et (b) il faut prévoir, écrit Hegel, que l'art va lui aussi tendre de plus en plus à se regarder lui-même, devenant "ironique" (pensez au grec eironia, qui donne ce mot, et qui signifie originairement "interrogation"), et même humoristique (se moquant de lui-même). Si je puis me permettre d'ajouter : ce mouvement a peut-être en fait déjà commencé dès le XVIIe s.: voyez déjà en effet Las Meniñas, de Velasquez, tableau dans lequel la peinture, manifestement, se peint elle-même. Mais le véritable triomphe de Hegel, aux yeux de ses défenseurs contemporains, c'est sans doute surtout le XXe s. : le dadaïsme, le surréalisme, l'art non figuratif, l'art éphémère, l'art comme provocation... Quelques lignes de plus là-dessus dans une réponse à un message > ici <.

En somme :

  1. CRITIQUE DE L'ART MIMETIQUE (et de la conception de l'art comme mimesis)

  2. ...POURTANT, LA DESTINATION SUPREME DE L'ART EST LA VERITE

  3. ...MEME SI, AUJOURD'HUI, CETTE MISSION DE L'ART A, EN UN SENS, PRIS FIN.

Voilà... Je reconnais volontiers que tout ceci est bien trop rapide et allusif. J'espère du moins que ces quelques pistes vous auront un peu dépanné et pourront, dans une certaine mesure, utilement guider votre réflexion, et vos lectures - bien entendu (car il faut lire : on ne le dira jamais assez !).

Bonnes fêtes à vous aussi, et n'hésitez pas à donner des nouvelles. Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 088






            


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