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COURRIER


 

Pouvoir et Technique...
09/02/2005

De Farente le 9 février : "Ceci est une demande d'aide scolaire, mais je vais tâcher tout de même de respecter les consignes :-).

Le sujet qui m'a été donné est "Pouvoir et Technique" - ou "Technique et Pouvoir", cela n'a pas l'air de changer, est-ce un indice ? Le sujet n'est pas problematisé, c'est justement ce qui me pose problème, je pense. Je dois y répondre par un plan le plus détaillé possible dans une limite de 4 pages.

Je précise qu'une alternative de sujet m'a été donnée, non problématisée aussi, mais bien plus simple à problématiser (Destin et Déterminismes... avec un texte d'Alain sur le mythe d'Er que nous avons étudié), mais je voudrais quand même essayer ce sujet.

Voilà, une fois ces précisions données je vais essayer de donner l'avancée de mes réflexions, mais malheureusement elle est assez limitée.

Je me suis demandé (et me demande encore !) comment on doit interpréter "pouvoir". J'imagine qu'on peut le prendre comme le verbe pouvoir. Ainsi, une première question est apparue : lorsqu'on a la technique (la capacité) de faire quelque chose, peut-on le faire (d'un point de vue moral, éthique) malgré ça ? A mon avis, c'est inévitable dans le devoir, mais il doit y avoir d'autres problématiques à dégager... Ensuite, j'ai rapidement pensé au pouvoir politique, ou économique... Mais je ne vois pas exactement le rapport ici avec la technique, et c'est ce qui me trouble.

Voilà, je pense que je prendrais l'autre sujet si je n'ai pas eu un flash révélateur d'ici là, mais la question m'intéresse quand même, et à mon avis peut être moins... classique (et en ce sens, plus originale donc moins ennuyante) que l'autre...

Merci d'avance !"

=> 15/02/05 : Bonjour Farente. 'POUVOIR & TECHNIQUE', le sujet doit en effet être interprété, et il faut avouer que ce n'est pas vraiment facile, en l'occurrence... Vous demande-t-on en effet de réfléchir sur le(s) pouvoir(s) de la technique ou bien sur les relations entre le pouvoir et la technique ? Y a-t-il d'ailleurs à hésiter et faut-il "choisir" entre ces deux interprétations ? Il me semble au moins qu'il est toujours possible de commencer par rassembler ce que l'on peut dire de la technique : en effet, quelle que soit l'interprétation donnée à l'énoncé, elle sera toujours invariablement au coeur du sujet.

Or la technique, précisément, est un pouvoir. Vous connaissez probablement le mythe de l'origine de la technique faisant intervenir les titans, Prométhée et Epiméthée. Ce texte canonique du Protagoras de Platon doit être médité attentivement... Tout aussi canoniques : les propos décisifs de Descartes concernant l'avènement de la technique moderne comme but de la connaissance scientifique de la nature et comme projet d'appropriation et de domination de la nature : "[...] nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature" (VIe partie du Discours de la Méthode), sans négliger d'interroger le "comme" de la fameuse formule.

Mais ces repères étant posées, il est sûrement nécessaire aussi de s'interroger sur la l'esprit de la technique. Par exemple, à la façon de Bergson, qui réclame "un supplément d'âme" pour le "corps" démesurément agrandi dont nous dote la technique dans sa version moderne (industrielle). C'est que le pouvoir que permet la technique est sans "âme" : "dans ce corps démesurément grossi, écrit Bergson, l'âme reste ce qu'elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger. D'où le vide entre lui et elle. D'où les redoutables problèmes sociaux, politiques, internationaux, qui sont autant de définitions de ce vide et qui, pour le combler, provoquent aujourd'hui tant d'efforts désordonnés et inefficaces : il y faudrait de nouvelles réserves d'énergie potentielle, cette fois morale." Ce passage n'offre-il pas un premier angle d'attaque intéressant pour votre sujet ? Il faut toutefois expliciter davantage la pensée de son auteur : celui-ci évoque en effet le déficit de moralité de la technique. La technique nous octroie en effet un pouvoir d'ordre physique sur la matière, mais elle n'est encore que le moyen d'assurer "le bien-être exagéré et le luxe pour un certain nombre plutôt que la libération pour tous". Dans le même ordre d'idée, vous pourriez aussi penser à la distinction kantienne entre impératifs hypothétiques et impératifs catégoriques : l'impératif moral, voyant dans la personne humaine une fin en soi, est catégorique, c'est-à-dire absolu (= je dois, quoi qu'il m'en coûte) ; en tant que telle, au contraire, les impératifs dictés par des considérations techniques sont hypothétiques, c'est-à-dire relatifs aux moyens : le technicien n'a qu'à se demander quel moyen il doit employer sans s'interroger sur la fin (donc même si la fin est meurtrière, inhumaine : pensez aux industriels allemands qui ont bâti les camps de la mort...).En d'autres termes, la technique peut nous dire comment il faut agir pour accomplir ce que nous avons projeté de faire (donc le moyen à employer), mais ne peut jamais, à elle seule, nous révéler ce que nous devons viser et ce que nous avons à faire (le but qui doit être atteint) : paradoxalement, le pouvoir de la technique est donc limité. Voyez aussi la messagerie de Philia donnant des indications sur le 'La technique peut-elle changer l'éthique ?'

Mais on comprend alors, du même coup, qu'il n'est peut-être pas nécessaire de choisir entre les deux interprétations que nous envisagions plus haut : en effet, la technique peut être un moyen au service d'une fin projetée par un pouvoir. On raconte ainsi que Galilée s'intéressa à la chute des corps après avoir été consulté par le prince, qui voulait améliorer la trajectoire de ses boulets de canon ! Aujourd'hui, les politiques consultent des spécialistes en gestion des ressources "humaines", et tendent à gouverner la Cité de façon froidement technocratique... Rien n'est vraiment changé, semble-t-il : la technique sert de levier au pouvoir pour atteindre ses fins, quelles qu'elles soient, parce qu'il a très bien et très vite compris qu'elle est le plus grand des pouvoirs.

Le problème posé par votre sujet, est, en quelque sorte, de savoir (1) qui pilote, ou qui doit piloter (pouvoir politique, pouvoir économique, industriel...), dans la mesure où la technique est un instrument, ou n'est qu'un instrument... A moins peut-être de se demander (2) s'il y a bien en effet un pilote, car il se pourrait aussi que la technique ait son "autonomie". Sans pilote, elle serait alors comme un bolide lancé à toute allure, mais sans plan de navigation, et incapable de voir cent pas au-devant.

Qu'en pensez-vous, cher Farente ?

Avec mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 054






            


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