Chargement en cours . . . 

Courrier PHILIA

 Philia [accueil]...    imprimer ce document...   fermer cette fenêtre...

COURRIER


 

La politesse...
26/01/2004

De Christelle, élève en hypokhâgne en Alsace : "Bonjour. Je dois dire que votre site est très bien fait, et que le fait de mettre des extraits en ligne me paraît être chose utile pour les étudiants. En effet, il est bien plus fructueux de lire un texte de première main, plutôt que de lire un résumé biaisé dans un "SOS BAC".

Je suis en train de plancher sur le sujet suivant : la politesse. Je me permets de vous demander un peu de votre temps pour me donner votre avis sur mon début de réflexion, et d'avance vous remercie chaleureusement. J'ai pensé débuter ma réflexion sur l'idée courante selon laquelle la politesse n'est qu'un façade, "elle fait paraître l'homme au dehors comme il devrait être intérieurement" (La Bruyère), elle n'est qu'hypocrisie, une manière de feindre le respect, et donc condamnable. On peut en effet insulter quelqu'un tout en restant poli, la politesse n'est donc pas une bonté, ou une vertu. Pourtant, il semble évident que la politesse est nécessaire pour permettre aux hommes de vivre ensemble, un ensemble de règles qui régulent la vie en société. En ce sens, la politesse est imposée par la vie en communauté. Pourtant, la politesse n'est-elle pas naturelle ? Il faut ici distinguer plusieurs politesses, comme le fait Bergson, dans son Discours sur la politesse. En effet, si la politesse = un ensemble de règles de civilité, le sauvage peut se dire plus poli que nous. La politesse mondaine reste un talent. La vertu réside dans la politesse de coeur qui consiste à ménager la sensibilité des autres hommes et faire qu'ils soient contents d'eux et de nous, ce qui suppose une connaissance approfondie du coeur humain. Elle s'acquiert non pas par l'éducation, mais suppose une expérience de la vie, le spectacle de la souffrance morale, qui amène douceur, bienveillance et pitié. Cette souplesse de l'esprit est le propre du sens de l'humanité, selon l'expression de KANT. Il s'agit de comprendre les subtilités des amours propres. Voilà jusqu'où s'est portée ma réflexion jusqu'à présent. Il serait très aimable à vous de me donner votre avis (si possible rapidement). Je suis bien entendue ouverte à toute suggestion méthodologique, ou de références ou matière philosophique.[...]".

=> 31/01/04 : Bonjour Christelle et merci pour vos encouragements. Concernant votre sujet, la politesse, je crois surtout que vous m'écrivez pour vous rassurer, car en fait je n'aurais pas fait mieux (c'est dire !)... Sérieusement - et très sincèrement, la démarche que vous m'indiquez me paraît excellente. Qu'ajouter à ce que vous écrivez ? Juste quelques éléments (en vrac...), qui peut-être n'y ajouteront que peu de choses :

  • Sur l'impertinence / l'impolitesse, comme moyen philosophique et pédagogique percutant de dénoncer l'humaine hypocrisie : Diogène le cynique. Voir p.ex. : Vie, doctrines & sentences... de Diogène Laërce, ou mieux : Les cyniques grecs, fragments & témoignages, Le Livre de Poche (notamment l'introduction et l'avant-propos).

  • De Schopenhauer : « La politesse repose sur une convention tacite de ne pas remarquer les uns chez les autres la misère morale et intellectuelle de la condition humaine, et de ne pas se la reprocher mutuellement ; d'où il résulte, au bénéfice des deux parties, qu'elle apparaît moins facilement. Politesse est prudence ; impolitesse est donc niaiserie ; se faire, par sa grossièreté, des ennemis, sans nécessité et de gaieté de coeur, c'est de la démence ; c'est comme si l'on mettait le feu à sa maison. Car la politesse est, comme les jetons, une monnaie notoirement fausse : l'épargner prouve de la déraison ; en user avec libéralité, de la raison. » Extrait de : Parénèses & maximes, III ("concernant notre conduite envers les autres"), n°36, in Aphorismes sur la sagesse dans la vie, P.U.F., p. 141.

  • Alain a assez fréquemment causé de la politesse dans ses ouvrages : Les Idées & les Ages, Eléments de philosophie, etc. (voir le recueil paru dans la coll. La Pléiade sous le titre Les Passions et la Sagesse), ou encore dans les Propos. Par exemple : « Être poli, c'est dire ou signifier, par tous ses gestes et par toutes ses paroles : "Ne nous irritons pas ; ne gâtons pas ce moment de notre vie" Est-ce donc bonté évangélique ? Non. Je ne pousserais point jusque-là ; il arrive que la bonté est indiscrète et humilie. La vraie politesse est plutôt dans une joie contagieuse, qui adoucit tous les frottements. Et cette politesse n'est guère enseignée. Dans ce que l'on appelle la société polie, j'ai vu bien des dos courbés, mais je n'ai jamais vu un homme poli. » - Propos I, 8 mars 1911, La Pléiade, p.103.

  • Quant à ceci (dans Les Idées & les Ages, Chap. VI, in PS, p. 181) : « Certes on sait quelque chose de la politesse quand on a appris à ne pas faire voir que l'on voit ; ce n'est pourtant que le commencement. La politesse pleine est certainement à ne point voir ; c'est pourquoi aucune contemplation des personnes n'est polie ; et, en ce sens, l'admiration n'est certainement pas parfaitement polie. » ... cela m'a fait penser à cette plaisanterie, que vous connaissez peut-être déjà : que dit un homme poli qui entre par mégarde dans une salle de bain où une dame nue fait sa toilette ? => Ah pardon Madame !... Mais : qu'aurait-il dit s'il avait su faire preuve de tact ? => Oh pardon Monsieur ! ...Mine de rien, c'est peut-être à méditer !

  • Trouvé sur la toile québécoise, ce petit article qui peut vous être utile, dans l'Encylopédie de l'Agora.

  • A. Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, Chap. I (la politesse), coll. Points au Seuil.

  • Dans Philia : ces célèbres articles des Passions de l'Ame de Descartes sur la générosité pourraient peut-être vous "inspirer"... Et vous pourriez trouver peut-être aussi matière à réflexion dans l'Ethique à Nicomaque d'Aristote...

  • ...Si, tout de même une critique, ou du moins une remarque, car je ne suis pas sûr de comprendre quand vous écrivez : "la politesse n'est-elle pas naturelle ?"... Naturel, est-ce bien le terme choisi en l'occurrence ? Comment l'entendez-vous ?

Je m'arrête là, car j'ai encore à faire, et aussi parce que, comme dit Anatole France, "la première politesse de l'écrivain est d'être bref"... Je me demande si je vous ai été de quelque utilité. En l'espérant, du moins, je vous souhaite bon courage et vous adresse, chère Christelle, toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 020






            


 - Contrat Creative Commons (certains droits réservés) -