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 COURRIER

édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Que peut le désir ?...
03/12/2006

D'Oriane cette charmante demande reçue le 03/12/2006 : "Bonjour Philia ! Je viens d'arriver sur ton site et je le trouve très bien fait ! J'étais justement en train de me demander si tu pouvais m'aider... Mon prof m'a donné un sujet très... sympathique, dirons nous : Que peut le désir ? Je me suis rapprochée de la question ainsi : Que veut le désir ? Quelle est sa nature ? Que vise-t-il ?... Voilà ma problématique : se demander que peut le désir revient en définitive à poser la question : de quoi est-il capable ? quelle est sa nature ? que vise-t-il ? désire-t-on en vue de la satisfaction du désir lui-même ou bien vise-t-on une autre fin que le désir ?

Mon plan est celui ci :

I. La nature du désir

Donc là je parle de l'opposition désir (psychologie, insatisfaction permanente, tend vers un objet superflu, voire inutile) / besoin (physiologie, tend vers un objet vital). Je pensais parler aussi de Freud : quête inconsciente d'un paradis perdu qu'aucun objet réel ne restaurera jamais et aussi du mythe de Psychée avec Eros et Iméros, le "bon" et le "mauvais" désir : dualité...

II. La volonté du désir

...Et là je coince ! Je pensais plus à : ce que nous visons à travers le désir, peut-être l'ignorons-nous fondamentalement et c'est sans doute pour cela qu'il y a une telle obscurité de l'objet du désir. Quoi qu'il en soit, tout porte à croire que nous désirons le désir lui-même et non ce en quoi il se manifeste. Le désir est alors à la fois condition d'insatisfaction permanente et en même temps une formidable énergie pour la vie... mais c'est un peu obscur dans mon esprit...

Voilà. Merci beaucoup. J'espère que tu pourras m'aider !

Bise !

Une élève en déroute !

PS : j'ai tutoyé, c'est grave ?
"

=> 09/12/06 : Bonjour Oriane. Tutoyer Philia est en effet extrêmement grave : tu vas finir dans une prison obscure, éclairée seulement par la lueur d'un téléviseur de 55 centimètres (en noir et blanc) bloqué sur TF1 et fonctionnant jour et nuit. Tu ne recevras plus jamais aucun cadeau de Noël et ton portable va se mettre à grésiller au point que tu ne pourras plus passer aucune communication. Ton lecteur de MP3 n'acceptera plus de jouer qu'un seul air, le gingle qui accompagne la publicité pour Optic 2000. Enfin, tes désirs deviendront tellement obscurs que tu ne rappelleras même plus si tu en as eus.

Sérieusement : je ne vous trouve pas vraiment en déroute. Vos questions de départ sur le sujet ("très... sympathique") sont intéressantes. On peut cependant vous reprocher de ne pas proposer d'éléments permettant tout à fait de saisir comment vous l'avez compris : Que peut le désir ? ne signifie pas, en effet, Que veut le désir ? ? même si les questions peuvent être apparentées et s'appeler mutuellement. Que peut le désir ? signifie littéralement : De quoi le désir est-il capable ? Or, on ne lit pas vraiment, dans votre message, que vous ayez saisi ce sens "tout simple". Du coup, on ne voit pas non plus vraiment que vous vous soyez étonnée de la question : en effet, à première vue, le désir paraît être l'énergie même. Pourtant, le désir ne peut strictement rien à lui tout seul : il "ne coûte pas cher" de désirer... et même : de prendre ses désirs pour la réalité, comme si le désir avait en lui-même / par lui-même un pouvoir ? le pouvoir de s'exaucer comme par magie, sans même qu'on se donne la peine de rien mettre en oeuvre afin qu'il se "réalise". Remarquons qu'il arrive même que nous en venions à désirer la lune, ou (même !) la justice sur terre pour tous les hommes : il semble alors que nous désirions l'impossible. Mais l'impossible, si l'on peut l'attendre, n'est-ce pas, par définition, ce que l'on ne peut atteindre ? Comment, dans ces conditions, ne pas avouer que de tels désirs ne peuvent manifestement rien ? On répondra que ces désirs sont l'exception. Toutefois, ne nous arrive-t-il pas, bien souvent, de désirer des choses possibles sans bouger le petit doigt ?

Mieux : ne faut-il pas convenir que tout désir est en lui-même impuissant ? En effet, même si je mets en oeuvre les moyens adéquats pour réaliser mon désir, même si, en procédant ainsi, je parviens à mes fins, ne faut-il pas reconnaître que ce sont les moyens qui ont été efficaces, non le désir comme tel, en tant que visée ? N'est-ce pas cette "impotence" du désir qui nous conduit à désirer sans agir, au point même de désirer ce que l'on ne peut en aucun cas obtenir ?

A ce constat s'ajoute la fragilité du désir comparée à la solidité du vouloir. Désirer, en effet, ne signifie pas vouloir. On peut d'ailleurs vouloir ce qu'on ne désire pas (par exemple vouloir fermement arrêter de fumer tout en désirant vivement fumer), et désirer sans vraiment vouloir, comme évoqué précédemment : le désir est souvent velléitaire et ne se donne pas si fréquemment les moyens de se réaliser. Au contraire, parce qu'elle est la faculté de décider, de faire des choix de façon réfléchie, la volonté tend à l'action. Surtout : nos désirs ne sont pas décidés. Et quand ils sont forts, et que nous employons toute notre énergie à les faire aboutir, ils nous dominent : la volonté appartient à l'ordre de l'action, le désir à l'ordre des passions. Ainsi, pour Spinoza comme pour Hegel, et bien d'autres philosophes, l'activité — c'est-à-dire la liberté — du désir n'est qu'une illusion.

C'est peut-être à propos de cette fragilité que vous pourriez mobiliser vos connaissances. Ainsi, comme vous l'écrivez justement, pour Freud (comme pour l'Aristophane du Banquet de Platon, auquel il fait d'ailleurs allusion dans son oeuvre) le désir est recherche régressive et irréaliste d'un temps perdu. En ce sens, il préfigure en quelque façon l'amour passionnel, qui est pathologique, dans la mesure où le passionné n'aime que soi : "Tout amour passion, tout amour du passé, est donc illusion d'amour et, en fait, amour de soi-même. Il est désir de se retrouver, et non de se perdre ; d'assimiler autrui, et non de se donner à lui ; il est infantile, possessif et cruel, analogue à l'amour éprouvé pour la nourriture que l'on dévore et que l'on détruit en l'incorporant à soi-même." (Alquié, Le désir d'éternité). D'origine passionnelle, donc irrationnelle, le désir semble, par suite, incapable de moralité. Et puisqu'il est un perpétuel insatisfait, même lorsque vient la satisfaction, le désir ne peut que superficiellement contribuer à cette satisfaction durable que l'on nomme le bonheur.

Pourtant, au-delà de ces multiples signes d'impuissance, il s'est trouvé, comme vous l'indiquez, des philosophes qui ont su voir dans le désir, le véritable aiguillon de l'action : Leibniz, par exemple, qui reconnaît dans le désir une sollicitation inquiète, soutient pourtant qu'il nous dispose à agir : ne faut-il pas reconnaître, en effet, que ce sont nos désirs qui "font agir notre machine" ? Et Platon avait sans doute déjà dit l'essentiel dans le Banquet en personnifiant le désir sous la forme d'un daimon, d'un être intermédiaire entre les mortels et les immortels, comme entre l'ignorance et le savoir : "Eros doit nécessairement tendre vers le savoir, et, puisqu'il tend vers le savoir, il doit tenir le milieu entre celui qui sait et l'ignorant" (lire cet extrait du Banquet). Ainsi, en quelque sorte, le désir ne peut rien, mais, sans lui, on ne peut rien : il faut toujours compter sur lui, qui n'est rien et vit du rien, du manque qu'il pourchasse ("c'est un chasseur redoutable", dit Diotime dans le Banquet). N'était-ce pas là ce qui était "un peu obscur dans [votre] esprit" ? Si tel est le cas, il vous faut lire, si ce n'est fait, les "révélations" faites par la prêtresse Diotime à Socrate dans le Banquet de Platon. Vous trouverez une traduction de cette oeuvre fameuse chez Philia => ici <= (fichier de 205 Ko). Socrate évoque le souvenir de Diotime dans le dialogue à partir de 201c.

Ce sera tout, bien chère Oriane, pour aujourd'hui, en espérant que j'aurai pu contribuer un peu à vous aider — sans vous aider trop en abusant dans l'excès. Je dois d'ailleurs aller faire dormir mes yeux, ce qui me fait une bonne excuse pour m'en tenir là. Vous devriez faire de même, afin de reprendre des forces pour vous remettre du bon pied à vos études très... sympathiques. N'hésitez pas à donner de vos nouvelles. Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 112

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