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édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

L'idéal posé par le désir nous conduit-il à une impasse ?...
16/11/2005

Le 16/11, from appletree again : "Quand on est victime de l'idéal... Une question intéressante et complexe sur laquelle je tourne en rond : l'idéal et le désir. Je viens de voir le film de Visconti 'Mort à Venise' - histoire de cet artiste qui meurt devant l'idée de beauté. Cela m'a fait penser aux héros de Dostoievski, qui sont souvent victimes d'idéaux qu'ils placent eux-mêmes très haut, avant de se sentir incapables d'en être à la hauteur... Cette question du désir, qui nous pousse à agir, mais peut aussi nous écraser, me fascine. D'une certaine façon, ne peut-on pas lier cela aux Idées (ou archétypes ?) platoniciennes que rien ne vient approcher dans les multiples manifestations sensibles ? On pourrait faire un lien avec la psychanalyse, qui utilise la notion de ratage (Lacan), pour désigner cette non-coïncidence avec l'objet : il y a toujours un reste, un écart non comblé... Est-ce cela l'origine du désir : cette distance que l'on cherche en vain à combler et qui fait de nous tous des Sisyphes ? Finalement, ma question est plus ou moins : le désir n'est-il pas indissociable de l'idéal ? Et comment se sortir de ce que je perçois comme une impasse : d'une part pas d'existence sans idéal, d'autre part l'idéal nous détruit (je pense notamment à la célèbre définition que Paul Valéry donne de la beauté : elle est 'ce qui désespère') ? Merci pour votre avis sur la question et surtout pour vos suggestions de lecture sur ce thème de l'idéal et de son rôle moteur et / ou paralysant."

PS le 25/11 : "En ce qui concerne les trois boules bleues en révolution, elles évoquent la base d'un anémomètre. Peut-être évoquent-elles le vent, et donc l'esprit ?"

=> 04/12/2005 : Merci de votre interprétation des boules bleues. Où avais-je la tête ? ...En l'air, bien sûr !

D'une certaine façon, dites-vous, on peut lier la question du désir "aux Idées [...] platoniciennes que rien ne vient approcher dans les multiples manifestations sensibles". La lecture classique sur <désir> et <idéal> est en effet certainement le Banquet de Platon. Si vous avez lu, dans cette oeuvre, les "révélations" que la prêtresse Diotime fait à Socrate (Banquet ,210a-212a), vous n'aurez sans doute pas eu de mal à penser que l'idée du désir qui en résulte est en quelque sorte "verticale" : à la faveur d'une initiation graduelle, le désir, d'abord orienté vers une réalité sensible (un corps), peut s'élever de là à la contemplation des belles formes sensibles (des beaux corps), puis de là à la beauté des belles âmes, pour finalement accéder à la contemplation de la beauté absolue, universelle, "éternelle" et "surnaturelle" comme dit Diotime : c'est l'Idée du beau - le Beau en soi - dont toutes les beautés d'ici-bas se font l'écho. "La vie pour un homme, dit Diotime, vaut d'être vécue quand il contemple le beau en lui-même". Nul motif, donc, de désespérer de la beauté, puisqu'elle est un "idéal" accessible. Et donc aussi : nulle raison d'aller plus loin, nul besoin, pour le désir, de changer d'objet, comme font habituellement les hommes - d'autant que celui qui aura ainsi accédé à la science du Beau en soi enfantera "non pas des simulacres de vertu" mais "une vertu authentique". En d'autres termes, parvenu là, il sera pleinement heureux et vertueux à la fois. Du désir de consommer des biens (au pluriel), il sera parvenu, par degrés, à l'amour contemplatif du Bien, de sorte qu'à la fin, la roue du désir, qui fait de nous - comme vous l'évoquez dans votre message, des Sisyphes - ne tournera plus pour lui : il en sera délivré - sans, bien entendu, être pour autant "paralysé".

Platon était donc, manifestement tout à fait conscient de ce que vous nommer très justement l'impasse du désir. Je crois bien, d'ailleurs, que tous les philosophes ont, d'une façon ou d'une autre, pris conscience de la "circularité" du désir, signe d'un "ratage" fatal tel que celui que vous évoquez, de sorte que tous se sont efforcé de penser une "fin", voire de "mettre un terme" au désir. Ainsi pourrait-on évoquer Saint-Augustin : dans la version augustinienne en effet, le cortège interminable des objets du désirs ne sont que des simulacres d'un Objet réel unique, incorruptible, éternel, seule "nourriture intérieure" dont l'âme a vraiment faim, à savoir Dieu. Voyez aussi Schopenhauer, qui estime que le cycle sans fin du désir, expression humaine de l'aveugle "volonté" universelle qui ordonne et anime le monde (voir ce texte notamment), est absurde, et que seuls les hommes éclairés savent y échapper, en s'adonnant à la connaissance désintéressée - grâce à la philosophie, mais aussi à travers l'art, pour autant qu'il nous sauve du monde comme volonté en favorisant notre accès au monde des Idées : l'art "arrête la roue du temps", donc suspend l'emprise du désir. Voir cet extrait du Livre III du Monde comme Volonté et comme Représentation.

La "solution" envisagée par chacun des grands philosophes au problème que vous soulevez peut donc notablement différer - et il faudrait, il est vrai, passer en revue toutes ces solutions - mais il paraît certain qu'ils en ont tous envisager une. Sans doute parce que le désir est "l'essence de l'homme" (Spinoza), donc ce sur quoi fait fond l'existence - problème évidemment central de toute philosophie.

Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 084

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