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édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Descartes : ce n'est pas le tout ! (bac ES 2004)...
23/06/2004

Le 23/06, ce message de Lao à propos de la Lettre à Elisabeth de Descartes du 16-10-1645 (texte proposé au bac ES en 2004) : "Est-il possible d'admettre l'idée que Descartes développe une vision holiste ? Je pense qu'il s'agit d'une impropriétré manifeste pour plusieurs raisons ; j'attends votre réponse faute d'avoir eu une discussion satisfaisante sur ce point."

=> 03/07/04 : Bien le bonjour Lao. Rappelons d'abord le texte en question :

II y a une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des parties de l'univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet Etat, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente ; voire on voudrait perdre son âme, s'il se pouvait, pour sauver les autres.

Dans cette lettre, Descartes énonce une thèse forte : "il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier" (2e phrase). Il justifie cette nécessité (= "il faut") une première fois − dans la 1e phrase − en soulignant le fait que nous sommes objectivement sous la dépendance de notre milieu (physique, social / politique, familial) ; mais aussi dans le dernière phrase, en pointant le caractère moral d'un tel principe d'action (voyez le vocabulaire utilisé dans cette phrase : nuire, amitié / fidélité / vertu, faire du bien). C'est l'idée de générosité, chère à Descartes. Toutefois, la thèse (qui pourtant disait qu'il fallait toujours préférer...) est tempérée aussitôt énoncée : cette préférence doit en effet être accordée "avec mesure et discrétion [...]", c'est-à-dire en opérant une sorte de calcul, considérant :

  1. Le gain que l'on peut raisonnablement escompter à l'issue de l'action : le jeu en vaut-il la chandelle ? A quoi bon en effet risquer un grand mal si le gain ne peut consister qu'en un petit bien pour sa communauté ?
  2. La valeur de ceux à qui on se donne : car "si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver". Ce cas ne se présente peut-être pas en réalité ("si... il n'aurait pas raison"), et sans doute d'ailleurs nous serait-il difficile de déterminer par nous-mêmes si nous valons plus que ceux pour lesquels nous aurions à nous sacrifier ; néanmoins, un résistant aurait-il eu le devoir d'oeuvrer à sauver une division SS ?

Pour vous répondre, il ne semble donc pas que Descartes adopte dans ce texte une vision holiste : certes, nous dépendons d'un tout dont nous faisons partie, et la vertu ne saurait être individualiste, et encore moins égoïste, mais le tout, "ce n'est pas le tout" ! D'abord parce qu'il faut considérer l'enjeu de l'action, ensuite parce que le tout ne vaut pas nécessairement qu'on se sacrifie pour lui : la sagesse ne consiste pas à se régler aveuglément sur un principe pratique unique, et ce qui peut d'abord paraître rationnel peut se révéler pratiquement déraisonnable et même totalement désastreux.

Il me semble d'ailleurs que dans un bon commentaire, on pouvait, de ce point de vue, opposer Descartes et Kant. Ce dernier soutenait en effet que la morale devait découler d'un principe rationnel universel : la morale, c'est en fait la théorie et la pratique de la loi morale. Or la loi morale, pour être vraiment une loi, doit être universelle, c'est-à-dire valoir toujours, dans tous les cas, et pour tous. Ainsi, par exemple, on ne peut pas (souhaiter) universaliser le mensonge. Donc, toujours selon Kant, il ne faut jamais mentir, en aucun cas, et à personne. En d'autres termes nous avons un devoir absolu de dire la vérité. Donc si l'un des SS évoqués ci-dessus vous interroge concernant la présence d'un résistant caché dans votre cave, n'hésitez pas une seconde : répondez-lui que oui, bien sûr, vous en cachez un, et même deux ou trois, si tel est vraiment le cas. Vous aurez fait votre devoir ! Certes, la morale kantienne a le mérite de montrer que la moralité ne peut se confondre avec de vagues sentiments, même bons, et qu'elle doit être fondée en principe. Mais Charles Péguy n'a-t-il pas raison quand il écrit que « le kantisme a les mains pures mais n'a pas de mains ». (Ch. Péguy, Victor-Marie, comte Hugo , in Oeuvres en prose complètes, Gallimard, 1992, p. 331) ? Descartes, d'ailleurs, est-il moins un "homme de principe" que Kant ? On voit ici en effet ce qui sépare cette morale rigoriste - et même rigide prônée par Kant, de la souplesse intelligente de la position de Descartes... Qu'en pensez-vous chère Lao (Lao est bien un prénom féminin ?) ? Je vous souhaite un bel été.

Avec mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 036

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