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La vie oscille, comme un pendule, de la souffrance à l´ennui, II


 

[...] Entre les désirs et leurs réalisations s'écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété : le but était illusoire : la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin : sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. — Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et de l'autre, descend à son minimum : et c'est là la plus heureuse vie. Car il est bien d'autres moments, qu'on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu'on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde : c'est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares : elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe ; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d'eux, en somme, des solitaires au milieu d'une foule toute différente d'eux : ainsi se rétablit l'équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressée les dépasse : ils sont réduits au simple vouloir.

SCHOPENHAUER
.Le Monde comme Volonté et comme Représentation
Livre IV, §. 57, tr. fr. A. Burdeau
Alcan / P.U.F. éd., tome 1, pp. 328