la copie de
ROUSSEAU
Les langues se forment naturellement sur les besoins des hommes ; elles changent et s'altèrent selon les changements de ces mêmes besoins. Dans les anciens temps où la persuasion tenait lieu de force publique, l'éloquence était nécessaire. A quoi servirait-elle aujourd'hui que la force publique supplée à la persuasion ? L'on n'a besoin ni d'art ni de figure pour dire : tel est mon plaisir. Quels discours reste-t-il à faire au peuple assemblé ? des sermons. Et qu'importe à ceux qui les font de persuader le peuple, puisque ce n'est pas lui qui nomme aux bénéfices ? Les langues populaires sont devenues aussi parfaitement inutiles que l'éloquence. Les sociétés ont pris leur dernière forme ; on n'y change plus rien qu'avec du canon et des écus, et comme on n'a plus rien à dire au peuple sinon donnez de l'argent, on le dit avec des placards au coin des rues ou des soldats dans les maisons. Il ne faut assembler personne pour cela : au contraire, il faut tenir les sujets épars ; c'est la première maxime de la politique moderne.
ROUSSEAU
Essai sur l'origine des langues, Chapitre XX
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