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PLATON

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art - artiste / artisan - peinture - poésie - science - connaissance - vérité / fausseté - illusion - tromperie - mensonge - imitation - reproduction - image - copie - Idée - réel / idéal - réalité / apparence - essence - universel / particulier / singulier - abstrait / concret - chose - nature - Dieu - démiurge - création - oeuvre / ouvrage -
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SOCRATE - Pourrais-tu me dire ce qu'est, en général, l'imitation car je ne conçois pas bien moi-même ce qu'elle se propose.

GLAUCON - Alors comment, moi, le concevrai-je ?

S. - Il n'y aurait là rien d'étonnant. Souvent ceux qui ont la vue faible aperçoivent les objets avant ceux qui l'ont perçante.

G. - Cela arrive. Mais, en ta présence, je n'oserai jamais dire ce qui pourrait me paraître évident. Vois donc toi-même.

S. - Eh bien ! veux-tu que nous partions de ce point-ci dans notre enquête, selon notre méthode accoutumée ? Nous avons, en effet, l'habitude de poser une certaine Forme , et une seule, pour chaque groupe d'objets multiples auxquels nous donnons le même nom. Ne comprends-tu pas ?

G. - Je comprends.

S. - Prenons donc celui que tu voudras de ces groupes d'objets multiples. Par exemple, il y a une multitude de lits et de tables.

G. - Sans doute.

S. - Mais pour ces deux meubles, il n'y a que deux Formes, l'une de lit, l'autre de table.

G. - Oui.

S. - N'avons-nous pas aussi coutume de dire que le fabricant de chacun de ces deux meubles porte ses regards sur la Forme, pour faire l'un les lits, l'autre les tables dont nous nous servons, et ainsi des autres objets ? car la Forme elle-même, aucun ouvrier ne la façonne, n'est-ce pas ?

G. - Non, certes.

S. - Mais vois maintenant quel nom tu donneras à cet ouvrier-ci.

G. - Lequel ?

S. - Celui qui fait tout ce que font les divers ouvriers, chacun dans son genre.

G. - Tu parles là d'un homme habile et merveilleux.

S. - Attends, et tu le diras bientôt avec plus de raison. Cet artisan dont je parle n'est pas seulement capable de faire toutes sortes de meubles, mais il produit encore tout ce qui pousse de la terre, il façonne tous les vivants, y compris lui-même, et outre cela il fabrique la terre, le ciel, les dieux, et tout ce qu'il y a dans le ciel, et tout ce qu'il y a sous la terre, dans l'Hadès.

G. - Voilà un sophiste tout à fait merveilleux.

S. - Tu ne me crois pas ? Mais dis-moi : penses-tu qu'il n'existe absolument pas d'ouvrier semblable ? ou que, d'une certaine manière on puisse créer tout cela, et que, d'une autre, on ne le puisse pas ? Mais tu ne remarques pas que tu pourrais le créer toi-même, d'une certaine façon.

G. - Et quelle est cette façon ? demanda-t-il.

S. - Elle n'est pas compliquée, répondis-je ; elle se pratique souvent et rapidement, très rapidement même, si tu veux prendre un miroir et le présenter de tous côtés tu feras vite le soleil et les astres du ciel, la terre, toi-même, et les autres êtres vivants, et les meubles, et les plantes, et tout ce dont nous parlions à l'instant.

G. - Oui, mais ce seront des apparences, et non pas des réalités.

S. - Bien, dis-je, tu en viens au point voulu par le discours ; car, parmi les artisans de ce genre, j'imagine qu'il faut compter le peintre, n'est-ce pas ?

G. - Comment non?

S. - Mais tu me diras, je pense, que ce qu'il fait n'a point de réalité ; et pourtant, d'une certaine manière, le peintre lui aussi fait un lit. Ou bien non ?

G. - Si, répondit-il, du moins un lit apparent.

S. - Et le menuisier ? N'as-tu pas dit tout à l'heure qu'il ne faisait point la Forme, ou, d'après nous, ce qui est le lit, mais un lit particulier ?

G. - Je l'ai dit en effet.

S. - Or donc, s'il ne fait point ce qui est, il ne fait point l'objet réel, mais un objet qui ressemble à ce dernier, sans en avoir la réalité ; et si quelqu'un disait que l'ouvrage du menuisier ou de quelque autre artisan est parfaitement réel, il y aurait chance qu'il dise faux, n'est-ce pas ?

G. - Ce serait du moins le sentiment de ceux qui s'occupent de semblables questions.

S. - Par conséquent, ne nous étonnons pas que cet ouvrage soit quelque chose d'obscur, comparé à la vérité.

G. - Non.

S. - Veux-tu maintenant que, nous appuyant sur ces exemples, nous recherchions ce que peut être l'imitateur ?

G. - Si tu veux, dit-il.

S. - Ainsi, il y a trois sortes de lits ; l'une qui existe dans la nature des choses, et dont nous pouvons dire, je pense, que Dieu est l'auteur — autrement qui serait-ce ?...

G. - Personne d'autre, à mon avis.

S. - Une seconde est celle du menuisier.

G. - Oui.

S. - Et une troisième, celle du peintre, n'est-ce pas ?

G. - Soit.

S. - Ainsi, peintre, menuisier, Dieu, ils sont trois qui président à la façon de ces trois espèces de lits.

G. - Oui, trois.

S. - Et Dieu, soit qu'il n'ait pas voulu agir autrement, soit que quelque nécessité l'ait obligé à ne faire qu'un lit dans la nature, a fait celui-là seul qui est réellement le lit ; mais deux lits de ce genre, ou plusieurs, Dieu ne les a jamais produits et ne les produira point.

G. - Pourquoi donc ? demanda-t-il.

S. - Parce que s'il en faisait seulement deux, il s'en manifesterait un troisième dont ces deux-là reproduiraient la Forme, et c'est ce lit qui serait le lit réel, non les deux autres.

G. - Tu as raison.

S. - Dieu sachant cela, je pense, et voulant être réellement le créateur d'un lit réel, et non le fabricant particulier d'un lit particulier, a créé ce lit unique par nature.

G. - Il le semble.

S. - Veux-tu donc que nous donnions à Dieu le nom de créateur naturel de cet objet, ou quelque autre nom semblable ?

G. - Ce sera juste, dit-il, puisqu'il a créé la nature de cet objet et de toutes les autres choses.

S. - Et le menuisier ? Nous l'appellerons l'ouvrier du lit, n'est-ce pas ?

G. - Oui.

S. - Et le peintre, le nommerons-nous l'ouvrier et le créateur de cet objet ?

G. - Nullement.

S. - Qu'est-il donc, dis-moi, par rapport au lit ?

G. - Il me semble que le nom qui lui conviendrait le mieux est celui d'imitateur de ce dont les deux autres sont les ouvriers.

S. - Soit. Tu appelles donc imitateur l'auteur d'une production éloignée de la nature de trois degrés.

G. - Parfaitement, dit-il.

S. - Donc, le faiseur de tragédies, s'il est un imitateur, sera par nature éloigné de trois degrés du roi et de la vérité, comme, aussi, tous les autres imitateurs.

G. - Il y a chance.

S. - Nous voilà donc d'accord sur l'imitateur. Mais, à propos du peintre, réponds encore à ceci : essaie-t-il, d'après toi, d'imiter chacune des choses mêmes qui sont dans la nature ou bien les ouvrages des artisans ?

G. - Les ouvrages des artisans, répondit-il.

S. - Tels qu'ils sont, ou tels qu'ils paraissent ; fais encore cette distinction.

G. - Que veux-tu dire ?

S. - Ceci un lit, que tu le regardes de biais, de face, ou de toute autre manière, est-il différent de lui-même, ou, sans différer, paraît-il différent ? et en est-il de même des autres choses ?

G. - Oui, dit-il, l'objet paraît différent mais ne diffère en rien.

S. - Maintenant, considère ce point ; lequel de ces deux buts se propose la peinture relativement à chaque objet : est-ce de représenter ce qui est tel qu'il est, ou ce qui paraît, tel qu'il paraît ? Est-elle l'imitation de l'apparence ou de la réalité ?

G. - De l'apparence.

S. - L'imitation est donc loin du vrai, et si elle façonne tous les objets, c'est, semble-t-il, parce qu'elle ne touche qu'à une petite partie de chacun, laquelle n'est d'ailleurs qu'une ombre. Le peintre, dirons-nous par exemple, nous représentera un cordonnier, un charpentier ou tout autre artisan sans avoir aucune connaissance de leur métier ; et cependant, s'il est bon peintre, ayant représenté un charpentier et le montrant de loin, il trompera les enfants et les hommes privés de raison, parce qu'il aura donné à sa peinture l'apparence d'un charpentier véritable.

G. - Certainement.

S. - Eh bien ! ami, voici, à mon avis, ce qu'il faut penser de tout cela. Lorsque quelqu'un vient nous annoncer qu'il a trouvé un homme instruit de tous les métiers, qui connaît tout ce que chacun connaît dans sa partie, et avec plus de précision que quiconque, il faut lui répondre qu'il est un naïf, et qu'apparemment il a rencontré un charlatan et un imitateur, qui lui en a imposé au point de lui paraître omniscient, parce que lui-même n'était pas capable de distinguer la science, l'ignorance et l'imitation.

G. - Rien de plus vrai, dit-il.

S. - Nous avons donc à considérer maintenant la tragédie et Homère qui en est le père, puisque nous entendons certaines personnes dire que les poètes tragiques sont versés dans tous les arts, dans toutes les choses humaines relatives à la vertu et au vice, et même dans les choses divines ; il est en effet nécessaire, disent-elles, que le bon poète, s'il veut créer une belle oeuvre, connaisse les sujets qu'il traite, qu'autrement il ne serait pas capable de créer. Il faut donc examiner si ces personnes, étant tombées sur des imitateurs de ce genre, n'ont pas été trompées par la vue de leurs ouvrages, ne se rendant pas compte qu'ils sont éloignés au troisième degré du réel, et que, sans connaître la vérité, il est facile de les réussir (car les poètes créent des fantômes et non des réalités), ou si leur assertion a quelque sens, et si les bons poètes savent vraiment ce dont, au jugement de la multitude, ils parlent si bien.

PLATON
La République, livre X, 595c-599a, tr. fr. R. Baccou, coll. GF



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