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Une image idéale précède toute notre évolution...


 

Etendue de la force poétique : nous ne pouvons rien faire sans en projeter au préalable une image indépendante (bien que nous ne sachions pas, il est vrai, comment, à l'égard de l'action, cette image se comporte, l'action est quelque chose d'essentiellement autre et se déroule dans des régions à nous inaccessibles). Cette image est très générale, un schème - nous imaginons qu'elle serait non pas seulement la ligne de conduite, mais la force agissante même. D'innombrables images n'entraînent point d'activité après elles, nous n'y prenons garde : les cas où quelque chose en résulte que nous "avons voulu" demeurent dans la mémoire. - Une image idéale précède toute notre évolution, le produit de la fantaisie : l'évolution réelle nous est inconnue. Il nous faut faire cette image. L'histoire des hommes et de l'humanité se déroule inconnue, mais les images idéales et leur histoire nous semblent l'évolution même.
       La science ne saurait les créer, mais la science est une nourriture capitale pour cette impulsion : nous appréhendons à la longue tout ce qui est incertain, controuvé, et cette crainte et cette aversion favorisent la science. L'impulsion poétique doit deviner, non pas fantastiquer, deviner quelque chose d'inconnu à partir d'éléments réels : elle a besoin de la science c'est-à-dire de la somme de ce qui est certain et vraisemblable afin de pouvoir poétifier avec ce matériel. Ce processus est déjà dans la vision. C'est une libre production dans toute la sensibilité, la plus grande partie de la perception sensible c'est deviner. Tous ouvrages scientifiques ennuient qui ne fournissent point de pâture à cette impulsion : le sûr et certain ne nous fait du bien s'il refuse à nourrir cette impulsion même !

NIETZSCHE
Le Gai Savoir, Fragments inédits, 28