la copie de
NIETZSCHE
Mais dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a toujours quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d'oublier, ou pour le dire en termes plus savants, la faculté de se sentir pour un temps en dehors de l'histoire. L'homme qui est incapable de s'asseoir au seuil de l'instant en oubliant tous les événements passés, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu'est un bonheur, et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres ; imaginez l'exemple extrême : un homme qui serait incapable de rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu'un devenir ; celui-là ne croirait pas à son propre être, il ne croirait plus en soi, il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du devenir. Finalement, en vrai disciple d'Héraclite
NIETZSCHE
Considérations intempestives, II, 1
tr. fr. G. Bianquis, éd. Aubier-Montaigne
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