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La prohibition de l´inceste est le processus par lequel la nature se dépasse elle-même


 

La prohibition de l'inceste n'est, ni purement d'origine culturelle, ni purement d'origine naturelle ; et elle n'est pas, non plus, un dosage d'éléments composites empruntés partiellement à la nature et partiellement à la culture. Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s'accomplit le passage de la nature à la culture. En un sens, elle appartient à la nature, car elle est une condition générale de la culture, et par conséquent il ne faut pas s'étonner de la voir tenir de la nature son caractère formel, c'est-à-dire l'universalité. Mais en un sens aussi, elle est déjà la culture, agissant et imposant sa règle au sein de phénomènes qui ne dépendent point, d'abord d'elle. Nous avons été amené à poser le problème de l'inceste à propos de la relation entre l'existence biologique et l'existence sociale de l'homme, et nous avons constaté aussitôt que la prohibition ne relève exactement, ni de l'une, ni de l'autre. Nous nous proposons, dans ce travail, de fournir la solution de cette anomalie, en montrant que la prohibition de l'inceste constitue précisément le lien qui les unit l'une à l'autre.
      Mais cette union n'est ni statique ni arbitraire et, au moment où elle s'établit, la situation totale s'en trouve complètement modifiée. En effet, c'est moins une union qu'une transformation ou un passage : avant elle, la culture n'est pas encore donnée ; avec elle, la nature cesse d'exister, chez l'homme, comme un règne souverain. La prohibition de l'inceste est le processus par lequel la nature se dépasse elle-même ; elle allume l'étincelle sous l'action de laquelle une structure d'un nouveau type, et plus complexe, se forme, et se superpose, en les intégrant, aux structures plus simples de la vie psychique, comme ces dernières se superposent, en les intégrant, aux structures, plus simples qu'elles-mêmes, de la vie animale. Elle opère, et par elle-même constitue, l'avènement d'un ordre nouveau.

Claude LEVI-STRAUSS
Les Structures élémentaires de la Parenté, éd. Mouton, pp. 28-29


 Notes