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Le désir sensible est aliéné et aliénant


 

Le sensible peut avoir avec l'esprit plusieurs sortes de relations. La plus médiocre, la moins appropriée à l'esprit, c'est l'appréhension purement sensible. Elle consiste tout d'abord à regarder, écouter, sentir, etc. C'est ainsi que dans les moments de tension d'esprit beaucoup de gens peuvent chercher à se distraire en allant et venant sans pensée, et en se bornant à écouter par-ci, jeter un regard par-là, etc. Mais l'esprit ne s'en tient pas à la simple appréhension par la vue ou par l'ouïe des objets extérieurs, il en fait usage dans sa vie intérieure, qui est poussée d'abord à prendre elle aussi la forme de la sensibilité en se réalisant dans les choses extérieures ; ce mode de relation aux choses extérieures est le désir. Dans cette sorte de rapport, l'homme se trouve à titre d'individu sensible en face de choses pareillement individuelles. Ce n'est ni le penseur, ni son arsenal de déterminations générales qui interviennent ici, c'est l'homme qui, au gré de ses impulsions et de ses intérêts individuels, se tourne vers des objets eux-mêmes individuels, qui puise en eux sa subsistance, en en faisant usage, en les consommant, et qui les sacrifie à sa satisfaction personnelle. Dans ces conditions, le désir ne se contente pas de l'apparence superficielle des choses extérieures, mais veut les tenir dans leur existence sensible et concrète. Il n'a que faire de tableaux qui représentent le bois dont il se sert ou les animaux qu'il voudrait consommer. Le désir ne peut pas davantage laisser l'objet subsister dans sa liberté, car sa nature le pousse justement à supprimer l'indépendance et la liberté des objets extérieurs et à montrer qu'ils ne sont là que pour être détruits et utilisés jusqu'à épuisement. Mais, parallèlement, le sujet, prisonnier des intérêts individuels, limités et médiocres de ses désirs, n'est libre ni en lui-même, puisque les déterminations qu'il prend ne viennent pas d'une volonté essentiellement universelle et raisonnable, ni vis-à-vis du monde extérieur, puisque le désir reste essentiellement déterminé par les objets et attaché à eux.

HEGEL
Esthétique