Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un Etat est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées ; ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes
dont la logique
est composée, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment
être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement la précipitation
et la prévention
; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement
à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.
DESCARTES
Discours de la méthode, IIe Partie
Notes
- Préceptes :
Règles à suivre, ici pour parvenir à la vérité. - La logique...
Allusion à la logique médiévale, héritée d'Aristote. Voici ce que Descartes vient d'en dire quelques lignes plus haut : « je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu'on sait ou même [...] à parler, sans jugement, de celles qu'on ignore, qu'à les apprendre. Et bien qu'elle contienne, en effet, beaucoup de préceptes très vrais et très bons, il y en a toutefois tant d'autres, mêlés parmi, qui sont ou nuisibles ou superflus, qu'il est presque aussi malaisé de les en séparer, que de tirer une Diane ou une Minerve hors d'un bloc de marbre qui n'est point encore ébauché ». - Evidemment :
L'évidence désigne, littéralement, « ce qui se voit de loin » (<= latin ex+videre), c'est-à-dire ce qui se reconnaît immédiatement donc par « intuition », sans la médiation d'aucun raisonnement et s'impose ainsi comme vrai à un esprit attentif. - D'éviter soigneusement la précipitation :
Première précision : ne pas juger avant d'être parvenu à une évidence complète. - ...et la prévention :
Deuxième précision : éviter les préjugés, notamment ceux qui sont nés au cours de l'enfance. - Si clairement et si distinctement [...] :
Troisième précision : ne pas autoriser notre jugement à s'étendre au-delà de l'évidence actuelle. La clarté est le sentiment de la présence immédiate de l'idée (par opposition, le souvenir ne fournit qu'une représentation obscure). La distinction est le caractère de l'idée qui ne contient rien d'autre que ce qui lui appartient en propre (par opposition à l'idée confuse, qui est « contaminée » par des représentations qui lui sont étrangères).