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Le signe linguistique désigne arbitrairement la réalité


 

Ce qui est arbitraire, c'est que tel signe, et non tel autre, soit appliqué à tel élément de la réalité, et non à tel autre. En ce sens, et en ce sens seulement, il est permis de parler de contingence, et encore sera-ce moins pour donner au problème une solution que pour le signaler et en prendre provisoirement congé. Car ce problème n'est autre que le fameux phusei ou thesei et ne peut être tranché que par décret . C'est en effet, transposé en termes linguistiques, le problème métaphysique de l'accord entre l'esprit et le monde, problème que le linguiste sera peut-être un jour en mesure d'aborder avec fruit, mais qu'il fera mieux pour l'instant de délaisser. Poser la relation comme arbitraire est pour le linguiste une manière de se défendre contre cette question et aussi contre la solution que le sujet parlant y apporte instinctivement. Pour le sujet parlant, il y a entre la langue et la réalité adéquation complète : le signe recouvre et commande la réalité ; mieux, il est cette réalité (nomen omen , tabous de parole, pouvoir magique du verbe, etc.). A vrai dire le point de vue du sujet et celui du linguiste sont si différents à cet égard que l'affirmation du linguiste quant à l'arbitraire des désignations ne réfute pas le sentiment contraire du sujet parlant. Mais, quoi qu'il en soit, la nature du signe linguistique n'y est en rien intéressée, si on le définit comme Saussure l'a fait, puisque le propre de cette définition est précisément de n'envisager que la relation du signifiant au signifié. Le domaine de l'arbitraire est ainsi relégué hors de la compréhension du signe linguistique.

BENVENISTE
Problèmes de Linguistique générale, Volume I,
éd. Gallimard, coll. Tel, pp. 52-53


 Notes