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ALAIN

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démocratie - individu / société - association - grégaire - droit - justice - contrat social - Etat - pouvoir - politique - corps social - organisme - instinct - force - violence - guerre / paix - Léviathan - nature - passion -
  Mots clés :
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Sujet :
Le plus clair de l'esprit démocratique, c'est peut-être qu'il est antisocial. Je m'explique. On peut considérer une société comme une sorte de gros animal. Je l'entends par métaphore ; mais il y a des mystiques qui veulent croire que ce gros animal existe réellement comme vous et moi, qu'il sent, qu'il pense et qu'il veut comme nous pensons, sentons, voulons. Ce n'est que mythologie ; mais de toute façon il faut convenir qu'il y a des forces sociales bien puissantes qui ressemblent tout à fait à des forces naturelles. La défense contre les criminels, dans certains cas, prend ainsi forme de panique furieuse, et déchire très bien des innocents. La guerre s'explique par des causes du même genre, dont nous ne nous défions jamais assez.
       Je range encore parmi les faits du même genre l'adoration soudaine pour un chef, ou pour un orateur, les entraînements bien connus des assemblées, le délire révolutionnaire, enfin tous les courants d'opinion qui naissent comme le vent et le cyclone, et se terminent de même. La religion, quelle qu'elle soit, est le plus brillant et le plus connu de ces phénomènes d'effervescence, qui tuent le sens commun. Nous dirons, pour abréger, que Léviathan a des passions, des colères, des fatigues, des fièvres et des attendrissements.
       L'individu, qui n'est qu'une pauvre petite cellule dans le grand corps, est pris dans ces mouvements, soulevé, roulé, transporté ; on peut bien dire aussi qu'il est à la fin usé et arrondi comme le galet sur nos plages. Quand cette rumeur monte et s'étend, les circonstances sont agréables pour les gouvernants, qui sont comme des dieux.
       Chose digne de remarque, ce gros Léviathan, dont vous et moi nous sommes de petites parties, n'est pas du tout civilisé ; c'est un enfant ou un sauvage, comme on voudra dire. Ce qu'il peut faire, il le fait aussitôt ; son âme, s'il en a une, ne distingue pas entre la force et le droit. Lorsqu'il fait des promesses ou signe des traités, il ne se croit point tenu par sa parole ; ce n'est qu'une ruse pour gagner un peu de répit.[...]
       Eh bien, il me semble que tout mouvement démocratique s'élève contre les réactions du gros animal, et tend à balancer l'association naturelle, disons l'organisme social, par une espèce de contrat antisocial. Il est alors promis et juré que l'on résistera à ces mouvements instinctifs du gros animal, et qu'on les soumettra, autant que possible, aux règles de justice qui sont acceptées par les individus.

ALAIN
Propos, tome II, CXLVIII (1906-1914), éd. Gallimard, pp. 289-290



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