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Penser, c´est inventer sans croire...


 

Penser n'est pas croire. Peu de gens comprennent cela. Presque tous, et ceux-là même qui semblent débarrassés de toute religion, cherchent dans les sciences quelque chose qu'ils puissent croire. Ils s'accrochent aux idées avec une espèce de fureur ; et si quelqu'un veut les leur enlever, ils sont prêts à mordre. [...] Lorsque l'on croit, l'estomac s'en mêle et tout le corps est raidi. Le croyant est comme le lierre sur l'arbre. Penser, c'est tout à fait autre chose. On pourrait dire : penser, c'est inventer sans croire.
      Imaginez un noble physicien, qui a observé longtemps les corps gazeux, les a chauffés, refroidis, comprimés, raréfiés. Il en vient à concevoir que les gaz sont faits de milliers de projectiles très petits qui sont lancés vivement dans toutes les directions et viennent bombarder les parois du récipient. Là-dessus le voilà qui définit, qui calcule ; le voilà qui démonte et remonte son gaz parfait, comme un horloger ferait pour une montre. Eh bien, je ne crois pas du tout que cet homme ressemble un chasseur qui guette une proie. Je le vois souriant, et jouant avec sa théorie ; je le vois travaillant sans fièvre et recevant les objections comme des amies ; tout prêt à changer ses définitions si l'expérience ne les vérifie pas, et cela très simplement, sans gestes de mélodrame. Si vous lui demandez Croyez-vous que les gaz soient ainsi ? il répondra : Je ne crois pas qu'ils soient ainsi ; je pense qu'ils sont ainsi.

ALAIN
Propos d'un Normand, 15 janvier 1908