![]() 06/10/2007 |
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De sophilia le 6/10/2007 : « Cher Monsieur, je viens déranger votre repos après avoir planché sur un petit extrait sympathique de Husserl : La crise de l'humanité européenne et la Philosophie, "la figure spirituelle de l'Europe"... Il me semble donc que pour Husserl, l'Europe est une entité spirituelle fondée sur la naissance de la philosophie apparue en Grèce au VIe siècle avant J.C. ... Et là, je coince... Pour Husserl, la philosophie grecque est purement théorique et issue d'un travail de plusieurs hommes. Elle a un intérêt vital universel contrairement aux "philosophies" non grecques... La philosophie grecque n'est apparue nulle part ailleurs, pourtant elle s'est diffusée à partir de la Grèce et mélangée avec la pensée arabe puisque de grands penseurs arabes comme AL FARABI ont commenté et répandu la connaissance d'Aristote parmi les Arabes (+ les grands centres de traductions à Damas, Bagdad ou Cordoue). Or, si l'Europe est une figure spirituelle, pourquoi les Etats arabes ne font-ils pas partie de l'Europe pour Husserl ? Il n'en est nullement question dans les écrits de Husserl (tout comme Paul Valéry). D'autre part, puisque la philosophie grecque s'est diffusée à travers de nombreux pays, pourquoi n'aurait-elle pas pu influencer les philosophies orientales ? Dans l'extrait que je vous ai cité ci-dessus, il semble qu'il y ait une certaine supériorité de la pensée européenne sur les autres... J'ai peut-être mal interprété le texte (sûrement) mais j'aurais bien aimé avoir votre avis sur cet aspect du texte, si bien sûr cela ne vous dérange pas, auquel cas je vous souhaite tout de même un très bon week-end ! » |
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=> 12/10/07 : Bonjour chère Sophilia. Vous avez raison, l'extrait est tout à fait « sympathique », et votre question est fort intéressante : on peut en effet s'interroger sur la spécificité de la pensée grecque, dont nous sommes, nous, occidentaux, les héritiers, mais qui, en réalité, a étendu depuis son empire sur le monde en totalité. Cette spécificité, vous l'avez bien compris, se cristallise, aux yeux de l'auteur de la conférence que vous étudiez (La crise de l'humanité européenne et la Philosophie, conférence donnée à Vienne en mai 1935, disponible en lecture au format PDF ici), autour de la naissance d'un discours d'un genre nouveau : la philosophie. Mais, dira-t-on, après tout, les anciens Grecs ne furent pas les seuls à penser ! Ainsi se pose le problème de la spécificité de la pensée grecque : quelle est l'originalité de l'apport de la philosophie grecque à la pensée humaine en général ? En quoi le « message » grec surpasse-t-il l'activité de pensée qui s'est déployée ailleurs qu'en Grèce et, plus tard, dans d'autres contrées, notamment dans les pays arabes ? Ce qui est sûr, c'est qu'aux yeux de Husserl, la pensée grecque a inauguré quelque chose de radicalement original, et vous avez raison de préciser que pour lui, « l'Europe est une entité spirituelle fondée sur la naissance de la philosophie apparue en Grèce au VIe siècle avant J.C. ». C'est que la philosophie grecque n'a pas d'antécédents. Vous évoquez d'ailleurs vous-même les « "philosophies" non grecques », avec des guillemets, comme s'il ne s'agissait pas ou pas encore de la philosophie au sens strict du terme. De même, ne vous "trahissez"-vous pas lorsque vous écrivez que la philosophie grecque s'est « mélangée avec la pensée arabe puisque de grands penseurs arabes comme AL FARABI ont commenté et répandu la connaissance d'Aristote parmi les Arabes » ? Dire qu'ils ont commenté et répandu Aristote, n'est-ce pas en effet reconnaître qu'ils se sont, à cette époque, pour ainsi dire hellènisés ? Enfin, chère Sophilia, ne vous "trahissez"-vous pas de nouveau lorsque vous vous demandez pourquoi la philosophie grecque « n'aurait-elle pas pu influencer les philosophies orientales » ? Là encore, effet si tant est que ce soit avéré cela ne revient-il pas à convenir que l'Orient est redevable à l'Occident, incarné par la philosophie grecque ? Mieux : comme le dit Husserl dans cette conférence, nous pouvons concevoir une européanisation, non une indianisation du monde. Pourquoi cela ? Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que :
« L'homme moderne appartient à tous ceux qui vont tenter de le créer ensemble ; l'esprit ne connaît pas de nations mineures, il ne connaît que des nations fraternelles. La Grèce, comme la France, n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous les hommes, et une Grèce secrète repose au coeur de tous les hommes d'Occident. Vieilles nations de l'esprit, il ne s'agit pas de nous réfugier dans notre passé, mais d'inventer l'avenir qu'il exige de nous. Au seuil de l'ère atomique, une fois de plus, l'homme a besoin d'être formé par l'esprit. [...] la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert ». André Malraux En espérant que ces quelques notes pourront vous "dépanner", je vous souhaite, à mon tour, un bon et même un excellent week-end. Bon courage pour votre travail. Avec toutes mes... |
-: Amitiés :- P h i l i a.
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