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COURRIER


 

Doit-on rechercher la perfection ?...
17/04/2007

De patrick17, qui est étudiant, le 17/04/2007 : "Bonjour. Pendant mes vacances, je médite sur un sujet que je dois rendre bientôt (à la rentrée) qui est : Doit-on rechercher la perfection ? Voilà mes ideés : D'abord la perfection c'est l'achèvement puis elle désigne le caractère de ce qui est parfaitement réalisé : ce qui possède toutes les qualités requises par sa nature [...]. Par exemple pour Kant la perfection morale consiste à remplir son devoir. Il semblerait naturel de rechercher la perfection. On pourrait voir la perfection comme un idéal, mais cet idéal reste régulateur au sens kantien : il guide la connaissance comme un horizon inatteignable guide le marcheur. On pourrait aussi analyser la preuve rationnelle de l'existence de Dieu de Descartes car il montre que si je doute je ne peux pas être cause car le doute est signe d'imperfection — un être parfait peut seul être cette cause : Dieu. Enfin je pense qu'il peut être dangereux de vouloir la perfection ; on peut se référer au contre utopies de Huxley ou Orwell qui montrent que viser la perfection peut conduire à des sociétés totalitaires... Qu'en pensez-vous ? Merci de votre aide. Cordialement."

=> 21/04/07 : Aïe aïe aïe !!! Je vous ai oublié ! Je n'ai aucune excuse — plus exactement aucune excuse valable ! Je me rappelle toutefois m'être dit que votre réflexion était bien engagée, mais j'aurai pu et dû au moins vous le dire... Comme quoi, personne n'est parfait !

Cette question de la perfection est très intéressante. Mes élèves vous diraient à son sujet : à quoi bon rechercher la perfection, puisque "la perfection n'existe pas". Je n'ai pas de mal, bien entendu, à leur faire comprendre qu'ils en ont au moins l'idée, ce qui est "un mode d'être" non négligeable. Par exemple, ils ont, comme tout un chacun, une idée d'une société parfaitement juste, d'un discours parfaitement vrai, d'une volonté parfaitement bonne, etc. Ils n'ont pas de mal, évidemment, à me rétorquer que cette perfection n'est qu'une idée, un idéal, donc "pas grand chose". C'est peut-être vrai, mais faut-il pour autant en conclure qu'il est inutile de rechercher la perfection ? La perfection, comme vous le notez bien, n'a-t-elle pas, à tout le moins, une fonction régulatrice — pour la connaissance, la pensée, l'action ? Prenant la question "à l'envers" : que serait une connaissance incomplète dont on se contenterait, une pensée bancale dont on se satisferait ? De même, imaginons quel genre d'homme serait fier de ses intentions alors même qu'ils les saurait moralement impures ? De même encore, quel genre de droit engendrerait une politique défaitiste qui renoncerait à la vraie justice, parce qu'elle "n'est pas de ce monde" ? Ne serait-on pas fondé à reprocher leur médiocrité à ceux qui sont ainsi satisfaits et ont
renoncé ?

Pourtant, d'un autre côté, on entrevoit bien, comme vous l'écrivez, les dangers de cette volonté de perfection : vouloir que tout soit parfait, c'est vouloir tout régenter, tout régler, jusqu'au plus infime détail, comme si la perfection impliquait de faire abdiquer toute liberté (Huxley, Orwell, mais aussi les philosophies utopistes, de Platon à Campanella ou More). Ne peut-on, d'ailleurs, soupçonner cette volonté de perfection ? N'a-t-elle, elle-même, rien à dissimiler ? Autrement dit, est-elle elle-même parfaite ? Plus précisément, ne faut-il pas haïr la vie pour aimer la perfection ?

Voilà donc condensé notre problème : la question nous somme en effet de choisir entre la déception face à une médiocrité d'autant plus pitoyable qu'elle est satisfaite d'elle-même, et le soupçon face à une volonté d'en finir avec la vie, qui n'est peut-être pas "parfaite", mais n'a pas non plus à le devenir. Trivialement d'abord, le mieux est l'ennemi du bien. Mais plus fondamentalement, on évoquera la fameuse formule de Péguy à propos de la morale kantienne du devoir accompli "par devoir" : "Kant a les mains pures, mais il n'a pas de mains" ! ou encore, plus radicalement, Saint-Exupéry : "La perfection, c'est la mort" (in Citadelle, CLXXX).

Maintenant, puisque vous me demander ce que je pense de vos pistes de réflexion, voici ma contribution — modeste et imparfaite, bien probablement :

Comme vous venez de le lire, je suis pleinement d'accord avec ce que vous avez trouvé. Le "hic" — comme on dit — c'est que le tout tient en deux parties. Soit, en très résumé :

1. Il faut, en toute chose, rechercher la perfection.
2. (Mais) cette recherche n'est pas sans danger.

Dès lors, on ne voit pas bien distinctement quelle conclusion suffisamment nette vous allez pouvoir en tirer sur le plan philosophique. Le risque est, comme toujours quand on procède par "thèse" et "antithèse", sans réelle 3e partie, d'aboutir à une "synthèse tiède", à un résultat, donc — pardon pour ce jeu de mot laid, qui tient de la "prothèse" : il faut "moyennement" rechercher la perfection. Un peu mais quand même pas trop. On voit bien que cela ne convient pas, que cela ne peut convenir.  ;–((

Rappelons donc que le principe de progression, dans le "plan" (décidément, ce mot ne convient pas du tout et n'est donc pas joli du tout), est la variation des valeurs et / ou des sens accordés aux concepts en présence. => C'est donc du côté de la notion de perfection, ce que je note symboliquement <perfection>, qu'il faut travailler un peu plus : dans votre première "partie" (avec des guillemets car ce mot ne convient pas du tout et n'est donc pas joli non plus!), vous accordez une valeur positive à la recherche de la perfection, puis, dans la seconde, vous la mettez en cause et lui donnez donc une valeur négative. Symboliquement :

1. <perfection +>
2. <perfection –>

Toujours symboliquement, le risque est donc d'une conclusion (ou d'une 3e partie) du type :

<perfection ±>

Toutefois, on remarque que cette conclusion vient de ce que, aussi bien dans <perfection +> que dans <perfection –>, on admet l'opposition <perfection> ≠ <réel>, le réel étant toujours supposé imparfait.

La seule différence est que dans (1) <perfection +>, on estime <réel –>, tandis que dans (2) <perfection –>, on estime <réel +> :

1. <perfection +>, car <réel –>
2. <perfection –>, car <réel +>

Si tous ces petits symboles vous paraissent comme du chinois, vous pouvez évidemment prolonger un peu davantage vos vacances ;–)

Sérieusement, ce symbolisme permet de bien voir que si l'on veut une vraie 3e partie, il pourrait être utile de remettre en question <perfection> ≠ <réel>... C'est reparti les petits symboles !!

En d'autres termes, pourquoi ne pas envisager que <perfection> = <réel> ? Evidemment, cela peut paraître étrange : depuis le début, et, semble-t-il, à bon droit, nous avons admis que le réel est loin d'être parfait, donc que <perfection> ≠ <réel>. C'est "évident".

Mais justement, est-ce si évident ? Leibniz, notamment, ne disait-il pas que ce monde est le meilleur des mondes possibles, donc le <réel> qui contient la plus grande <perfection> ? A ses yeux, Dieu, qui est par définition parfait, ne peut avoir créé un monde défectueux. Certes, cette perfection ne va pas sans mal, et on comprend que Voltaire ait pu se moquer : "Il est vrai qu'on peut s'imaginer des mondes possibles sans péché et sans malheur, et on en pourrait faire comme des romans, des utopies [...] ; mais ces mêmes mondes seraient d'ailleurs fort inférieurs en bien au nôtre. [...] Nous savons d'ailleurs que souvent un mal cause un bien, auquel on ne serait point arrivé sans ce mal" (Essais de Théodicée, I, 10), au point que "les défauts apparents du monde entier, ces taches d'un soleil dont le nôtre n'est qu'un rayon, relèvent sa beauté bien loin de la diminuer". Plus précisément, Dieu fait tendre l'univers (= le <réel>) vers la perfection : "Objectera-t-on, qu'à ce compte, il y a longtemps que le monde devrait être un paradis ? La réponse est facile. Bien que beaucoup de substances aient déjà atteint une grande perfection, la divisibilité du continu à l'infini fait que toujours demeurent dans l'insondable profondeur des choses des éléments qui sommeillent, qu'il faut encore réveiller, développer, améliorer et, si je puis dire, promouvoir à un degré supérieur de culture. C'est pourquoi le progrès ne sera jamais achevé" (De la production originelle des choses prise à sa racine, tr. fr. P. Schrecker, éd. Vrin, p. 92).

Alors, faut-il rechercher la perfection ? Leibniz répondrait que cette recherche va dans le sens même de l'ordre du monde, que cet ordre, qui est le seul possible, nous y convie.

Transposons :

3. <réel +> => <perfection +>

Il y a là-dessus un cours intéressant de Deleuze <= à lire, calmement.

On pourrait peut-être penser aussi à Hegel et à la procession de l'Esprit dans le monde (= de la Raison dans l'histoire)... Peut-être même "tout simplement" à la
perfectibilité selon Rousseau dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, l'important étant de parvenir à briser l'opposition <perfection> ≠ <réel>.

Pour intégrer cette nouvelle 3e partie, il vous faudra probablement revoir un peu le contenu des deux premières, notamment la 1, en la rendant "un peu moins intelligente".

Acceptez, de nouveau, mes excuses, et recevez toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

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