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Courrier PHILIA

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COURRIER


 

La quête de la vérité présuppose-t-elle l'abandon de la quête de sens ?...
17 & 18/04/2006 (et 15/05/06)

De Sarah ces deux messages, du 17 et du 18/04/2006. Premier message : "Je suis un peu déroutée par la dissertation que j'ai à faire (pour dans un peu plus d'une semaine) sur les 2 plus grands ou plus fameux problèmes philosophiques, la vérité et le sens : La quête de la vérité présuppose-t-elle l'abandon de la quête de sens ? Je voudrais d'abord être sûre que "sens" signifie bien "but, raison d'être, justification" et non pas "signification". Comme début de réponse, il me semble que la quête de vérité et la quête de sens sont incompatibles dans la mesure où la quête de la vérité demande objectivité et neutralité alors que la quête de sens est plus du domaine de l'affectif, de l'émotionnel, de l'intuition, autrement dit la quête de sens implique subjectivité et liberté alors que la quête de vérité implique objectivité et contraintes, et que donc il faudrait abandonner la quête de sens pour pouvoir trouver la vérité. Mais il me semble aussi que la quête de vérité peut donner du sens à la vie car dès lors que l'on se consacre à quelque chose qui nous intéresse, notre vie prend sens. J'aimerais savoir ce que Sartre a dit ou aurait pu dire sur la problématique de la quête de la vérité et de celle du sens, car je sais que Sartre pensait que la vie n'a a priori pas de sens et que c'est à l'homme, libre et responsable, d'en trouver un. Je me demande aussi : devrais-je parler de la philosophie, quête de la vérité et parfois quête de sens ? et dois-je considérer s'il faut privilégier le sens ou la vérité ? Merci."

Deuxième message : "Je vous ai déjà écrit à propos de ma dissertation sur la quête de la vérité et la quête du sens et j'ai à nouveau besoin d'aide. J'en suis arrivée à la conclusion (pas finale, et peut-être pas permanente) qu'il est impossible d'abandonner la quête de sens puisque nous cherchons tous (consciemment ou non) un but, une raison valable à notre existence et nous cherchons tous à donner de la valeur à notre vie, que ce soit à travers ce que l'on retire au monde ou ce que l'on contribue. Puis-je défendre cette thèse sans réduire à néant le sujet ? Si c'est possible, pourriez-vous m'indiquer des auteurs pour qui tous les hommes cherchent un sens (nous avons abordé la question du sens très peu et très indirectement en cours) ? Répondez-moi s'il vous plaît, si vous pouvez : je commence à désespérer face à cette question monumentale sur le sens et la vérité."

Et un troisième message (heureusement...) : "[...] Le professeur a déplacé la dissertation donc j'ai jusqu'à mardi (le 2 mai)".

=> 29/04/06 : Bonjour Sarah. Vous n'avez pas (ou plus) de raison de désespérer, d'autant que ce que vous avez trouvé semble déjà très prometteur... Votre sauveur (!?) est enfin (un peu) disponible - même s'il a |ces temps-ci| tout le temps beaucoup de mal à "suivre" - il veut dire : à répondre aux millions de demandes d'aide quotidiennes qui lui parviennent... Heureusement que le 1er mai est férié !! (Ouf !)

Voyons d'abord la question de plus près afin de dégager le problème : en un sens - c'est bien le cas de le dire - on pourrait d'abord penser que le sens d'un phénomène est sa vérité. Par exemple, l'observation (purement empirique) des fontainiers de Florence d'une limite de profondeur de puisage de l'eau lorsque son niveau descend en-dessous de 18 brasses (= un peu plus de 10 mètres) ne fait pas sens pour eux. Ils ne sont pas les seuls, d'ailleurs, puisque le grand Galilée, déjà célèbre à ce moment, ne comprend pas non plus le phénomène (il aurait, paraît-il, déclaré que la nature avait modérément horreur du vide... autant ne rien dire !). Or, il ne le comprend pas signifie qu'il n'a pas d'explication à proposer : en découvrant un peu plus tard la vérité, faisant intervenir l'hypothèse du vide et la pression atmosphérique, Torricelli (1608-1647) et ses prédécesseurs ont donné sens au phénomène. Pour mieux comprendre (...décidément !) ce petit exemple, rendez-vous sur cette page Wikipédia - qui vous indiquera, incidemment, comment fut inventé le baromètre (=appareil qui mesure la pression de l'air qui est au-dessus de nos têtes). Et du même coup aussi, vous comprendrez que si vous avez la chance d'avoir un puits dans votre jardin, mais que l'eau n'est accessible qu'en profondeur, il vous faudra placer votre pompe dans le puits, et non en surface. Vous ne regretterez donc pas le détour ;-)

Pourtant, comme le suggère le sujet, la quête de la vérité ne se confond pas nécessairement avec la quête du sens. Pourquoi donc ? me demanderez-vous aimablement. Eh bien je vous répondrai, tout aussi aimablement, que je n'en sais rien ;-(

Mais si voyons, il est possible de répondre ! Dans votre message, vous vous demandez si <sens> signifie bien <but>, <raison d'être>, <justification>, et non pas <signification>", autrement dit, quel est le sens de <sens>... Avoir un <sens> peut, selon le contexte ou le domaine considéré, signifier avoir une <signification> (le sens d'un mot, le sens d'un discours, d'un texte...) ou une <direction>, une <orientation>, une "polarité" (le sens du poil, le sens giratoire... mais aussi, plus sérieusement, le sens de l'histoire, ou le sens de l'existence). Il ne me semble pas - contrairement à ce que vous écrivez - qu'il faille exclure le sens comme <signification>. En effet, (1°) la quête de sens peut très bien concerner le discours : pensez aux exégèses de la Bible par exemple. De plus, (2°) <orientation> et <signification> sont difficilement séparables dans les autres cas : ainsi, l'<orientation> de l'histoire humaine (qui se dirige vers la liberté, l'accomplissement de l'homme <= voyez Kant et Hegel) lui donne aussi une <signification>. De même, un homme désorienté ne trouve pas de sens à l'existence - sens entendu, à nouveau, comme <signification>.

La preuve encore : le sens est à saisir, ou plutôt à comprendre. Or ce qui est à comprendre est de l'ordre de la <signification>. Pour le langage, diraient un peu sévèrement les linguistes, c'est-à-dire dans l'ordre du discours, la <signification> est la relation, dans le <signe>, entre le <signifiant> (= ce qui signifie, le "véhicule") et le <signifié> (=ce qui est signifié, le concept). Mais dans le cas du sens de l'histoire ou du sens de l'existence, il faudrait aussi parler de compréhension : le sens de l'histoire, par exemple, pourrait être défini comme la relation entre la succession des événements et la fin qu'ils dévoilent progressivement (<= idée de progrès).

En ce sens (il est décidément difficile d'éviter ce mot !), et contrairement à ce que l'on disait d'abord, il faudrait faire une différence entre <expliquer> et <comprendre>, entre <explication> et <compréhension>. Certes, on explique un texte afin de le comprendre (...et pour montrer qu'on l'a compris !), et si je ne puis (!) expliquer la limite de la profondeur de puisage dans le puits (!), je suis contraint d'avouer que je n'y comprends rien (= que je n'entends rien à la physique des liquides !)... Pourtant, l'explication dévoile non le sens, mais la cause. On le voit bien dans l'exemple donné : la cause de la limite observée est la pression atmosphérique.

Cette distinction entre <expliquer> et <comprendre> n'était probablement pas bien nette (... elle ne faisait pas vraiment sens !) pour quelqu'un comme Aristote, qui nommait causes des réalités à nos yeux fort différentes. En effet, Aristote nommait cause tout ce qui contribue à l'existence d'une chose. Ainsi, pour lui, la statue n'a pas moins de 4 causes ! Car sans le marbre (= cause matérielle), la statue n'existerait pas. Mais sans la figure du dieu non plus (= cause formelle) : un bloc minéral n'est pas une statue. Et sans le travail du sculpteur non plus, bien sûr (= cause efficiente), puisque c'est l'artiste qui donne la forme à la matière informe. Enfin, la statue n'existerait pas si le sculpteur n'avait pas voulu créer la beauté - ou plus trivialement gagner de l'argent - en la façonnant (= cause finale). Pour nous modernes, les choses sont en quelque sorte plus simples : seule la cause efficiente (= productrice) mérite d'être appelée cause. Ni la forme ni la matière de la statue ne peuvent être considérées comme ses causes. Quant à la cause finale, elle correspond à ce que nous appelons fin ou but... mot que vous avez employé, fort justement : car si, par exemple, l'histoire a un sens, c'est qu'elle est orientée vers un but, vers une fin. En d'autres termes, prétendre que l'histoire a un sens, c'est la comprendre comme un tout orienté, finalisé - comme un moyen en vue d'une fin, l'homme accomplissant cette fin (c'est-à-dire s'accomplissant lui-même) au terme d'un progrès qui est l'histoire même. Bel optimisme.

Un peu plus de précision maintenant concernant la compréhension : on pourrait dire que comprendre, c'est littéralement com-prendre (= latin : cum + prehendere), prendre ensemble. La compréhension est synthétique (du grec, cette fois : syn + thesis, littéralement acte de "poser ensemble", de composer). Et, pour cette raison, elle doit faire appel à "l'intuition", entendue comme saisie immédiate / directe, faisant donc l'économie de la médiation du raisonnement. Dans la première moitié du XXe s., l'école allemande (Dilthey, Jaspers, Scheller, Weber, ...) a utilisé le mot Einfühlung (= en français : empathie) pour désigner cette saisie synthétique directe de l'univers humain : pour eux, en effet, les sciences humaines doivent considérer que l'homme n'est pas à "expliquer", mais à "comprendre". Ainsi, en voyant le visage de votre voisin(e), vous pouvez "comprendre un sens", par exemple un sentiment, immédiatement, sans raisonner : saisir ainsi la joie, la tristesse, l'ironie en consultant le visage / le regard de l'autre, ce n'est pas expliquer autrui, mais (simplement, serait-on tenté de dire) le comprendre. La nature s'explique (=> sciences de la nature), l'homme se comprend (=> sciences de l'homme).

Car l'explication, contrairement à la compréhension, est une démarche analytique. <Analyse> vient du grec, lui aussi : analysis, qui veut dire "décomposition" (...par exemple, une analyse de sang est une manipulation destinée à décomposer le sang en ses différents composants). Pour expliquer un phénomène, on doit donc l'analyser, de façon à découvrir, par décomposition (et reconstruction) quelle est sa cause, ce qui suppose la médiation du discours (= du concept, et du raisonnement).

...Vous savez peut-être que 2006 est "l'année Freud" (né il y a tout juste 150 ans) : or, on reproche de plus en plus ces temps-ci à ce garçon d'être un interprète de la psychè humaine, ce qui semble valoir de plus en plus, sinon pour une insulte, du moins comme une dénomination très dévalorisante. Pourquoi donc ? Interpréter, c'est découvrir le sens latent d'une manifestation, notamment psychique / textuelle, ... Pour les scientifiques (qui comme chacun sait sont les "vrais savants"...), l'interprétation est nécessairement subjective, donc (!) non scientifique : chacun interprète à sa façon, et toute interprétation est, par suite, selon eux, une "projection" (terme, hélas, psychanalytique !). En d'autres termes, selon ces critiques éclairés, la psychanalyse n'est pas une science, car la science n'interprète pas. Sa démarche ne consiste pas à comprendre - dans le sens de l'école allemande évoqué, mais à analyser, afin de mettre au jour les causes (= explication), ou même, plus modestement, les relations entre les phénomènes (= description). En d'autres termes, l'orthodoxie scientifique actuelle (en fait : le vent a tourné déjà avec l'approche mécaniste inaugurée par Descartes au XVIIe s.) estime que le sens n'est pas objet de science... Nous y voilà enfin : LA VERITE (scientifique, rationnelle, objective comme vous le dites très bien) OU LE SENS (comme vous le dites très justement aussi : subjectif, saisissable seulement par l'intuition, qui "comme chacun sait", est irrationnelle), il faut choisir. En d'autres termes, si nous choisissons de rechercher la vérité, nous devons abandonner la quête du sens. C'est bien votre sujet. Et, disons-le tout net : c'est un beau sujet.

Pour le cheminement (= le plan) et l'idée à défendre finalement (=> conclusion) : vos propositions me paraissent à la fois fort sympathiques et philosophiquement très défendables.

Je me permets de résumer les étapes que vous envisagez, en corrigeant ou en précisant quelques points qui me paraissent un peu incertains :

  1. On peut en effet penser que la recherche de la vérité implique de renoncer à la quête du sens. [La vérité est en effet l'objet de la science. Or il n'y a pas de science du sens...]

  2. Pourtant, la quête de vérité peut donner sens à la vie. [L'ignorance entraîne l'illusion des faux sens. Au contraire, la vérité rétablit le vrai sens => caractère libérateur de la connaissance vraie...]

  3. Malgré cet apport indéniable, il est impossible d'abandonner la quête de sens à proprement parler, même si elle n'aboutit pas (ou n'aboutit pas à une certitude objective "scientifique"). [Nous cherchons tous (consciemment ou non) en effet un but, une raison valable à notre existence et nous cherchons tous à donner de la valeur à notre vie...]

Une remarque, tout de même : ne serait-il pas judicieux de "revisiter", pour y parvenir vraiment, la notion de vérité, que les sciences se sont peut-être un peu vite accaparée (...même si, il est vrai, les scientifiques d'aujourd'hui font preuve, du moins verbalement, d'une humilité que les "savants" d'autrefois n'avouaient pas toujours facilement) ?

En effet, si vous pensez que la quête du sens vaut toujours la peine d'être entreprise, cela ne peut-il pas vous conduire à contester l'impérialisme du "modèle objectiviste" initié par les sciences de de la nature en ce qui concerne l'idée de vérité ?

La souffrance, par exemple, ne se mesure pas. Donc elle n'existe pas vraiment : seriez-vous d'accord avec cette conclusion ? Non ? Alors il faut revoir l'idée que la vérité des phénomènes n'est établie que lorsqu'ils sont objectivement mesurés. Vous avez même le droit d'être un peu plus "méchante", un peu plus radicale : en effet, la science entendue ainsi peut-elle saisir la vérité de l'homme ? Ne doit-elle pas (comme d'ailleurs vous le suggérez) convenir que la philosophie reste nécessaire - pas seulement comme métaphysique abstraite, et encore moins comme "opinion" (puisque, vous le savez sûrement, la philosophie s'est constituée contre l'opinion), mais bien comme discours vrai ? En d'autres termes, vous pourriez contester aux sciences le monopole de la vérité qu'elles peuvent encore prétendre détenir. Mieux encore : pourquoi ne pas se demander si la science peut se penser elle-même (<= voir par exemple ce texte de Heidegger) ?

De même, dans le domaine des sciences de l'homme, vous pourriez vous demander si la psychanalyse, qui est à l'écoute du sens, n'a pas autant de valeur, et peut-être même plus de valeur que les thérapies comportementales, qui gagnent pourtant de jour en jour de l'influence.

Plus généralement, comme vous le suggérez d'ailleurs vous-même : l'homme n'a-t-il pas besoin de trouver un sens à sa propre existence, même si aucune certitude objective ne peut venir l'étayer ?

En bref, pour répondre à la question que vous vous posez à la fin de votre premier message, il n'est probablement pas nécessaire de privilégier le sens ou la vérité : d'abord parce que la vérité fait sens (partie 2), mais aussi, et surtout, parce que le "besoin de sens" excédera toujours ce que la connaissance vraie pourra dévoiler (partie 3). On ne comprendrait pas, sinon, la foi religieuse qui anime certains grands penseurs et de nombreux esprits scientifiques.

Quelques références philosophiques :

KANT, Critique de la raison pure : pour Kant, l'esprit humain a des pouvoirs, mais aussi des limites. Il peut nous faire accéder à la vérité des phénomènes (comme en témoignent les succès des sciences), mais non pas à la vérité des choses telles qu'elles sont en elles-mêmes. Pourtant, l'homme reste assoiffé d'absolu : la raison ne peut se résoudre aux limites de la connaissance. Il n'est donc pas si facile d'abandonner la quête du sens ultime (concernant le monde, l'âme, et Dieu). Le tout est de savoir sur quel plan on peut faire droit à cette demande (réponse de Kant : la morale).

COMTE, Cours de philosophie positive, leçon 1 : pour le fondateur du positivisme, l'homme a nécessairement besoin d'une religion qui donne sens et consistance à sa vie. Cependant, il faut distinguer religion et théologie : l'état théologique ancien est dépassé, et il faut même renoncer à la métaphysique, incarnée par les grands philosophes du passé : les hommes abordent une nouvelle étape de leur histoire ("loi des 3 états"), qui est l'état positif, dominé par la connaissance scientifique. Dans ce dernier état, "l'esprit humain, reconnaissant l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers, et à connaître les causes intimes de l'univers". Reste cependant l'Humanité. Ce grand être, qui n'est nullement une abstraction, mérite d'être vénéré : la religion qui donnera sens aux temps modernes sera donc une religion de l'Humanité.

HUSSERL, La crise de l'humanité européenne et la philosophie (1935) : la crise du sens dans laquelle est plongée l'Europe contemporaine prend sa source dans l'objectivisme, incarné par les sciences modernes, et promu par de nombreux philosophes, qui proclame ouvertement le divorce entre le monde des "faits objectifs" (<= positivisme) et la subjectivité. La science, qui traite légitimement du monde objectif, réduit pourtant aussi tout au statut d'objet (<= réductionnisme), condamnant ainsi toute quête du sens. Dans ce mouvement de condamnation, elle oublie pourtant sa propre origine : l'esprit humain. Ainsi, comme l'écrira quelques années plus tard MERLEAU-PONTY, "tout ce que je sais du monde, même par science, je le sais à partir d'une vue mienne ou d'une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire" (Phénoménologie de la perception, p. II) : quoi qu'en dise l'objectivisme, accorder du sens au monde est donc inévitable, au point qu'il n'est pas même besoin d'une "quête du sens" pour découvrir le sens, puisqu'il est à nos yeux immédiatement revêtu d'un sens.

SARTRE : Sartre serait en effet, comme vous le suggérez, une bonne référence pour ce devoir. Dans La Nausée (extrait => ici <=), Sartre évoque l'étrange expérience de l'absurde, dans laquelle les choses (la racine du marronnier, les grilles du jardin, le banc, le gazon rare de la pelouse...) nous paraissent "nues", sans aucune qualité : notre existence soudain "dévoilée", nous apparaît alors, comme le monde, dépourvue de sens. Quand "on s'en rend compte, ça vous tourne le coeur et tout se met à flotter". Mais si cette expérience de la contingence radicale des choses est extraordinaire, c'est précisément parce que, d'ordinaire, nous attribuons aux choses des qualités, à commencer par la qualité de choses. En d'autres termes, ce qui rend cette expérience extraordinaire, c'est qu'elle nous révèle l'absurdité du monde comme sa vérité absolue : le monde n'a pas de sens, et mon existence, ma présence dans ce monde non plus. C'est l'homme qui donne sens au monde, et même : c'est lui qui donne au monde le sens d'être un monde. C'est pourquoi, aussi, "le mythe et l'art, le langage et la science", qui sont des faits humains, "construisent et imposent l'être : ce ne sont pas de simples copies d'une réalité déjà donnée, mais les lignes directrices générales du mouvement de l'esprit" (CASSIRER, texte ici). Par suite aussi, la perception la plus ordinaire est déjà une interprétation : par elle, les choses se révèlent à nous dotées d'un sens : par exemple, sur la plage, la vague que nous percevons comme vague "n'est rien que le soulèvement successif des parties de l'eau selon la verticale sans transport de matière selon l'horizontale" (MERLEAU-PONTY, La structure du comportement, p. 6). C'est nous qui donnons à ce mouvement de l'eau le sens d'être une vague. Ce geste, de même, c'est nous qui lui donnons le sens d'une aimable invitation , ou, au contraire, d'une marque de familiarité déplacée. Et c'est nous encore qui donnons aux choses le sens d'être des obstacles ou des auxiliaires (texte => ici <=), et cette donation de sens est donc révélatrice, comme vous le suggérez, de la liberté humaine : l'homme est projet en tant qu'il donne un sens à son univers, sens qui va conditionner sa manière de répondre, notamment par l'action, à la situation dans laquelle il est "jeté". Parce qu'il est projet, l'homme se choisit ainsi lui-même. Et, parce qu'il ne peut pas ne pas choisir (tout refus de choisir équivalent au choix de refuser), il est "condamné à être libre" (texte => ici <=).

En espérant que le sens de ces quelques indications vous aura paru - relativement - compréhensible, je vous souhaite bon courage. Donnez de vos nouvelles.

14/05/06 : Des nouvelles de l'amie Sarah : "Bonjour Philia. Merci d'avoir écrit une longue analyse de mon sujet sur sens et vérité. Je vous écris pour vous donner de mes nouvelles. Malheureusement (?), je n'ai pas pu me servir de votre réflexion, étant donné que j'avais déjà fini d'écrire ma dissertation. J'ai trouvé la distinction expliquer-comprendre intéressante et je pense que j'aurais aimé l'incorporer (mais je pense qu'elle peut servir pour beaucoup de sujets). Le professeur a rendu la dissertation vendredi : il m'a donné 16 (ma meilleure note de toute l'année en philo !)... J'ai failli en tomber de ma chaise quand il m'a rendu ma copie ! Peut-être était-ce pour le mieux que je n'aie pas eu le temps de prendre en compte certaines de vos idées, puisqu'on exprime toujours mieux ses propres idées, celles qu'on a développées (et peut-être que le fait de parler d'idées qui ne venaient pas directement de moi aurait affaibli ma dissertation). En résumé, "Je ne sais pas si cela est bon ou si cela est mauvais", comme dirait le sage chinois de la légende ("mauvais" est ici trop fort car je suis très contente de ma note et je pourrai aborder le bac les mains dans les poches - euh... enfin presque !) Encore merci et bonne chance pour répondre à toutes vos prochaines demandes."

=> 15/05/06 : Heureusement que je ne vous ai pas vraiment aidée : vous seriez vraiment tombée de votre chaise ;-)

Je plaisante, bien sûr, mais un accident du travail est vite arrivé... Sérieusement : votre message m'a fait très plaisir, d'autant que la modestie qui le caractérise me laisse penser que vous êtes manifestement sur la voie de la sagesse (chinoise ou non !).

Bon courage pour cette fin d'année.

Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 100






            


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