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COURRIER


 

L'art d'être génial ne convient pas qu'aux artistes (texte de Nietzsche)...
27/03/2006

De Louise le 27/03 : "J'admets que je vous prends de court en disant que mon commentaire de texte est pour la semaine prochaine... cependant j'ai beau tourner les mots de Nietzsche dans ma tête je n'arrive pas à le comprendre. Je suis étrangère, et le langage (tournures, etc.) qu'il utilise me 'confuse'. Ce que j'ai compris, c'est que l'activité du génie est similaire aux savants / scientifiques dans le sens qu'ils poursuivent tous les deux un objectif précis et qu'il est plus facile qu'un artiste soit dénommé génie plutôt qu'un homme de science puisque l'artiste et son oeuvre restent insaisissables. Ai-je raison ? Et qu'est-ce-que la partie centrale du texte veut dire ? S'il vous plaît prenez le temps et aidez moi."

Le texte :

L'activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l'activité de l'inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique. Toutes ces activités s'expliquent si l'on se représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d'observer diligemment leur vie intérieure et celle d'autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien que d'apprendre d'abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l'homme est compliquée à miracles, non pas seulement celle du génie, mais aucune n'est un "miracle". D'où vient donc cette croyance qu'il n'y a de génie de chez l'artiste, l'orateur et le philosophe ? qu'eux seuls ont une « intuition » ? Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d'autre part éprouver d'envie. Nommer quelqu'un « divin », c'est dire "ici nous n'avons pas à rivaliser". En outre, tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or, personne ne peut voir dans l'oeuvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi...

=> 30/03/06 : Bonjour Louise. Si vous êtes étrangère, je dois vous dire que vous vous débrouillez très bien. J'ai bien dû corriger quelques fautes, mais guère plus - et même peut-être moins - que dans la plupart des messages que je reçois d'élèves français(es) ! Ce texte de Nietzsche est intéressant car il conteste la validité d'une idée toute faite : l'idée selon laquelle le qualification de génie ne conviendrait qu'à l'artiste.

Pour mener à bien cette critique, Nietzsche redéfinit d'abord le génie comme (1°) la capacité de la pensée d'être "active dans une direction unique" (je souligne), ce qui a pour effet (2°) l'utilisation de "tout comme matière première" : en français, on pourrait dire que le génie fait feu de tout bois ! Toujours pour la même raison, les hommes de génie (3°) sont d'inlassables observateurs (ils "ne cessent d'observer diligemment leur vie intérieure et celle d'autrui") et (4°) ils "ne se lassent pas de combiner leurs moyens", c'est-à-dire de mettre en oeuvre tout ce qui peut servir leur pensée.

Suit une phrase essentielle, qui peut paraître plus difficile, mais qui signifie seulement ceci, que nous avons tort de crier au "miracle" (remarquez les guillemets dans le texte même) au sujet de l'homme de génie : le génie est un homme, rien qu'un homme, mais un homme intelligent, qui, par son obsession et à force de travail (et non pas grâce à une mystérieuse « intuition » - remarquez encore les guillemets) parvient à exprimer tout ce qui "bouillonne" en lui. Il n'y a pas de miracle signifie donc que le génie n'est pas un don du ciel, une faculté irrationnelle et mystérieuse. Comme dit l'auteur, les activités géniales "s'expliquent" (ligne 3)...

Soit. Mais comment expliquer alors l'erreur, ou du moins ce que l'auteur considère comme une erreur ? Comment expliquer que l'on refuse d'expliquer le génie ? La suite du texte se charge justement de répondre à cette question : si les hommes ordinaires croient que seuls les artistes sont géniaux, c'est qu'il ne crient au génie (1°) que "là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables" : nous n'appelons géniales que les productions que nous admirons, et nous n'admirons que ce qui nous fait plaisir : il faut avouer que ce n'est pas fréquemment le cas des travaux scientifiques, qui nous paraissent souvent bien arides ! Et (2°) "où ils ne veulent pas d'autre part éprouver d'envie" : comme l'explique l'auteur aussitôt après, si nous avons le sentiment que nous pourrions nous-mêmes "rivaliser" avec le producteur de l'oeuvre, "en faire autant", comme on dit, alors nous ne parlons pas de génie. Celui-ci, en effet, doit nous paraître absolument "supérieur" ("divin", dit Nietzsche !) : le génie est toujours, à nos yeux, "irrationnel"... Enfin, (3°) troisième explication : "tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié." En d'autres termes, nous ne parlons de génie que lorsque nous sommes en face du résultat final, et que nous n'avons pas assisté à la laborieuse gestation et au terrible accouchement (pardonnez ces images, chère Louise !)... Or, comme le remarque l'auteur, c'est justement ce qui se produit avec les oeuvres d'art : nous les voyons "finies", et comme "parfaites". Nous n'assistons pas à la lente et difficile "descente" de la pensée qui prend forme péniblement dans la matière ("poser des pierres [...] bâtir [...] chercher toujours des matériaux [...] travailler toujours à y mettre la forme"). De là notre illusion que le génie ne concerne que les artistes, ou, à la rigueur, les grands orateurs et les grands philosophes. Et la même remarque doit bien sûr s'appliquer aux deux premiers critères : les oeuvres d'art (ou les belles paroles de l'orateur, ou les grandes idées du philosophe) nous plaisent (critère 1), et nous avons, en face d'elles, le sentiment d'être incapable de rivaliser avec tant de facilité (critère 2).

Voilà pour l'essentiel du sens du texte : à vous, maintenant, d'utiliser ces quelques éléments pour en faire une véritable étude de texte, en posant d'abord clairement le problème (dans l'introduction), puis en expliquant pas à pas le texte, et en amorçant si possible un dialogue (= un débat) avec le texte. Pour ce débat, comparez notamment avec Kant (<= ici).

Conseil : dans la partie explicative, pensez à bien définir les mots clés : génie, bien sûr, mais aussi miracle, intuition, travail, activité...

J'ai également pris connaissance des éléments que vous projetez d'utiliser en vue de votre exposé sur le désir. Je vais voir si je trouve le temps... il faut bien que je me fasse désirer, moi aussi ;-)

Bon courage pour la suite. Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 096






            


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