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COURRIER


 

L'histoire a-t-elle une fin ?...
01/03/2006

De Storm le 01/03/2006 : "Bonjour ! Je rencontre quelques difficultés concernant une dissertation : L'histoire a-t-elle une fin ? ...Et je ne sais s'il faut prendre le mot fin au sens de finitude, de but ou d'autre chose ? Je ne suis pas sûre d'avoir tout compris... L'histoire possède donc une fin dans le sens signification et de but, donc elle cherche à apporter à l'homme (peut-être à éviter les erreurs du passé, comme les guerres, l'esclavage...). Mais ne serait-ce pas accorder en même temps une place importante à l'homme, qui, par ses actes, oriente l'histoire, et, par là même, son but ? De même, l'homme à qui "s'adresse l'histoire" ne donnerait-t-il pas lui-même une signification qui lui convient ? Dès lors, y a-t-il vraiment orientation "consciente" de l'histoire ? En voit-on jamais la fin au sens de finitude dans la mesure où l'on peut voir qu'elle se "destine à l'homme" et que ce dernier continue l'histoire ? Il est possible que je sois entièrement dans le faux et que je n'aie tout simplement rien compris... Je vous remercie d'éclairer ma lanterne :) "

=> 05/03 : Bonjour chère Storm. Il semble que votre message contienne une forte ambigüité : vous semblez en effet comprendre correctement le mot histoire... mais pas toujours : en effet, quand vous écrivez - notamment - qu'elle peut "peut-être [...] éviter les erreurs du passé", vous l'entendez manifestement alors comme connaissance (du passé humain)... Or, ici, ce n'est pas du tout le sens du mot - comme vous l'avez bien compris par ailleurs : dans ce sujet, l'histoire désigne la réalité humaine dans le temps (et non pas la connaissance de cette réalité humaine dans le passé)... Voyez le petit exercice en ligne chez Philia.

Quant au mot fin : bien sûr, vous avez le droit de l'entendre dans le sens de "terme" (= "The End", comme disent les anglais lorsque le film prend fin, lorsqu'il est terminé), et la question serait alors de savoir si l'histoire humaine - qui a bien un début, non seulement parce qu'elle a été précédée par une longue "préhistoire" mais aussi parce que l'homme n'a pas toujours existé - finira un jour. Toutefois, le présent ("a-t-elle") suggère d'abord plutôt l'autre sens du mot : fin = "but"... même si l'on peut supposer que si la supposition que l'histoire a un but implique sans doute aussi qu'elle a un bout !

Cette question de la fin de l'histoire commence au XVIIIe s., lorsque les "philosophes des Lumières" tâchent de penser le progrès humain. Ainsi, le Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes de Rousseau peut - et doit, en un sens - être lu comme un texte fondateur de ce point de vue : l'homme est-il destiné à vivre comme il vit, c'est-à-dire mal, dans l'injustice sociale ? Non, "bien sûr", répond l'auteur, et l'histoire n'est à cet égard qu'une "péripétie" : l'homme n'est pas libre, mais il est né pour la liberté ; la liberté est la fin de l'histoire.

Cette idée est reprise plus fortement par Kant vers la fin du siècle (Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique), au moment où les Français font leur Révolution : à travers les conflits et les injustices qui la traversent, l'histoire est le moyen que la nature a en quelque sorte inventé afin de faire advenir une humanité unifiée, pacifiée et libre. L'histoire devra permettre l'avènement de l'Homme. L'homme, en effet - au contraire de l'animal - n'est pas immédiatement ce qu'il est. La nature en a "décidé" ainsi : il a à devenir homme, à advenir comme humain. C'est ce long et difficile chemin qui est l'histoire, qui a donc un sens, puisqu'elle est orientée vers la réalisation de l'Homme.

Hegel (notamment dans La Raison dans l'histoire) reprendra cette idée en l'élevant au rang d'une véritable métaphysique de l'histoire : (1) l'homme est l'incarnation de l'Esprit - avec une majuscule - entendu comme "la réalité qui se sait", c'est-à-dire comme conscience de soi. Mais (2) "l'Esprit n'est qu'à la fin ce qu'il est en réalité". Autrement dit, l'Esprit n'est pas immédiatement : de même que le petit enfant n'est pas d'emblée conscient de ce qu'il est, l'homme ne se sait pas encore lui-même. L'Esprit doit donc progressivement s'incarner : c'est l'histoire. (3) L'Esprit est cependant difficile d'accès : essayez donc de faire prendre conscience de lui-même à un enfant, voire à un adolescent. Essayez, non pas seulement de le raisonner, mais de le faire accéder à la Raison, à la pensée autonome. Vous n'y parviendrez pas : il faut un détour, et même des détours. Pour l'humanité, c'est la "ruse de la Raison" : l'histoire réalise l'Esprit à travers la vie matérielle, la poursuite des intérêts individuels, les conflits, les guerres...

Marx reprendra cette métaphysique du devenir humain en l'inversant : pour lui, l'homme ne s'explique pas d'abord par "l'Esprit", mais par sa vie matérielle : à l'idéalisme hegelien, il oppose donc un matérialisme historique. Pourtant, l'histoire a bien une fin, même si c'est sans doute plutôt comme terme que comme but, puisque l'histoire prendra fin avec l'abolition de la lutte des classes, lutte qui est la véritable cause matérielle de l'histoire comme violence faite aux hommes.

Evidemment, ce "panorama" est bien rapide - et même à bien des égards lapidaire. Il n'est pas possible, dans le cadre de cette réponse à votre demande, de rendre compte précisément de la richesse des développements proposés par les auteurs ici évoqués. Toutefois, vous avez à penser dans une dissertation : il faut donc des connaissances (= la connaissance des "doctrines"), mais il faut aussi, et surtout, de la pensée - et c'est à vous de penser...

De ce point de vue, il faut souligner que Kant et Hegel, notamment, ont déclaré que le "triste spectacle de l'histoire" leur était insupportable ("Le côté négatif de ce spectacle du changement provoque notre tristesse", déclare par exemple Hegel), qu'elle devait donc avoir un sens, un but, même s'il peut d'abord paraître que "c'est un projet à vrai dire étrange, et en apparence extravagant, que de vouloir composer une histoire d'après l'idée de la marche que le monde devrait suivre, s'il était adapté à des buts raisonnables certains" (Kant). Leur "pari", c'est donc l'Idée - avec une majuscule - de la raison selon laquelle l'histoire réalise la Raison.

...Mais vous tenez une excellente idée, vous aussi, que vous avez tout à fait le droit de leur opposer : "accorder [en même temps] une place importante à l'homme, qui, par ses actes, oriente l'histoire, et, par là même, son but". D'ailleurs, comme vous l'écrivez encore, n'est-ce pas l'homme qui donne "lui-même [à l'histoire] une signification qui lui convient" ?

Il vous faudra de toute façon éclaircir et étayer votre position. Voir par exemple Albert Camus (dans L'homme révolté), qui estime que cette idée d'une fin de l'histoire se révèle, en définitive, dans l'histoire, non pas une Idée de la raison, mais un "principe de terreur"... Robespierre et Staline, il est vrai, ont-ils vraiment fait progresser la liberté ?

Bon courage, et donnez de vos nouvelles. Avec mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 095






            


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