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édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Le réel, l'interprétation, le langage...
15/12/2005

From appletree...again (and always) le 15/12 : "Oui oui je n'arrête pas...de penser :-) Je croise beaucoup de sujets de philo sur la notion de "réel", du type : 'Réel et imaginaire', 'Est-ce que réel = ce qui se voit ?', mais peu de sujets sur la pertinence et les fondements de l'idée de réel. Le réel existe-t-il ou seulement des interprétations (c'est Nietzsche, ça : pas de faits, que des interprétations ??? Mon Dieu qu'elle est loin ma terminale...), des projections, suppositions, attentes de notre part ? N'est-ce pas plus une construction qu'un donné ?

Un peu différent de cette idée mais voisin tout de même : il y a un truc qui m'étonne un peu chez Platon. Le poète est celui qui à travers le signe ne vise pas que la chose que je qualifierais de quotidienne mais l'universel. Le monde des idées chez Platon (contrairement à Kant mais là je m'avance un peu) n'est pas hors de portée il me semble. Cependant, les poètes ne peuvent pas les atteindre mais seulement le philosophe. Pourquoi cette toute puissance du Logos et cette conception dédaigneuse de la poésie (cela se justifie t-il seulement par le fait que cette époque croyait la seule raison capable d'élucider ce supposé réel ?) ? Ce que je tente de dire, c'est que le langage qu'utilise le philosophe n'est pas moins marqué de négativité que celui du poète. Quand il dit 'table', il n'a pas atteint pour autant l'essence de la table... Vos conseils de lecture, comme d'habitude, me seraient fort utiles. Merci."

=> 30/12/2005 : Bonjour chère appletree. Si j'avais vraiment atteint la sagesse, je pourrais commencer ma réponse en vous disant que je suis à nouveau très en retard, mais sage - ce qui m'aurait permis de faire un petit jeu de mot. Mais, chère amie (bien que vous ne soyez pas ma sage), vous le savez bien : de la sagesse je n'ai hélas pas l'usage, et mon retard à répondre à votre message est parfaitement inexcusable (vous avez dû faire, depuis que vous m'avez écrit, de nombreux passages !).

  • Concernant votre premier point : il y a il est vrai fort peu de sujets soulevant directement cette lourde question du réel, du moins en terminale - ce qui est bien compréhensible. Toutefois, lorsqu'on a à les traiter, un nombre non négligeable de sujets peuvent conduire à s'interroger sur "la pertinence et les fondements de l'idée de réel". Les deux sujets que vous évoquez font, me semble-t-il, partie de ceux-là. Toujours est-il qu'il paraît bien naïf d'admettre que le réel existe "objectivement", indépendamment de nous. Il suffirait d'ailleurs de remarquer qu'il n'y a d'objectivité que par un sujet : il est évident en effet que si personne n'existait, il n'y aurait pas d'objectivité, et même aucun discours pour soutenir qu'elle est possible ou impossible à atteindre. Toute la question est alors de déterminer si cette dépendance entre le réel et le sujet qui le "construit" à coups d'interprétations doit elle-même être interprétée en termes de subjectivité. C'est risqué dans la mesure où le subjectif est l'individuel, l'arbitraire, le contingent : si nous disons qu'il n'y a de réel que par un sujet, nous risquons bien, en effet, pour rester cohérent, d'adopter une position sceptique, puisque le réel n'est alors rien de plus qu'une interprétation. Et vous savez bien que prétendre "à chacun sa vérité", c'est soutenir, en fait, que la vérité n'existe pas, ou est impossible à atteindre - chacun ayant la sienne, et personne ne pouvant se situer au-delà de soi-même et des autres (... au passage, ceci est 100 % compatible avec notre affirmation de l'égalité démocratique!).

    On peut toutefois noter que l'idée d'interprétation suggère qu'il y a "quelque chose" qui est interprété, quelque chose qui n'est pas lui-même subjectif, et qui, s'il pouvait être contemplé tel qu'il est en lui-même, donc sans être interprété, serait "vraiment" le réel, indépendamment de la représentation que tel ou tel sujet se forme. En d'autres termes, on peut penser que soutenir qu'il n'y a pas de réel, mais seulement des interprétations variées du réel, c'est sans doute encore tenir qu'il y a du réel ! En quelque sorte : le relatif suppose l'absolu, ou du moins implique que celui qui a l'idée que notre univers est interprété a en même temps l'idée d'un univers non interprété, c'est-à-dire a l'idée du réel... J'espère que je me fais bien comprendre (sinon je tape).

    Il me semble alors qu'en suivant cette pente, on aboutit à Kant. En substance, selon cet auteur, la structure de l'esprit humain interdit toute saisie directe (= "intuition pure") du réel (= "l'intelligible"). Le réel est donc pensable, mais non pas connaissable. Nous n'avons affaire et nous ne pouvons connaître que des phénomènes. Il faut pourtant aussitôt s'empresser de souligner que le phénoménisme ainsi constitué n'a rien à voir avec le relativisme d'un Protagoras ("l'homme est la mesure de toute chose"), qui se réduit à un subjectivisme sceptique interdisant toute science (= toute connaissance objective) du réel. En effet, le phénomène est non pas l'apparence subjective / arbitraire / etc., mais "la chose" (= la chose réelle), non certes telle qu'elle est en elle-même, mais telle qu'elle apparaît à l'esprit humain... Evidemment, vous pourriez alors penser que le phénomène est l'apparence, mais ce serait oublier que votre esprit et le mien, bien que différents, n'en ont pas moins la même structure. Par exemple, pouvez-vous voir - ou même seulement imaginer - une chose matérielle en dehors de l'espace ? Pouvez-vous apercevoir un arbre sans l'apercevoir dans l'espace ? Non, bien sûr, et moi non plus, et personne. L'espace (= la spatialité) est donc une condition a priori nécessaire et universelle de la perception des choses matérielles (que nous disons, justement, "extérieures"). Il est, en d'autres termes, une condition structurale de l'esprit humain. L'oeuvre de Kant se veut ainsi une enquête sur cette structure - qu'il appelle transcendantale. J'espère que je me fais bien comprendre (sinon...).

    Une conséquence majeure, comme vous savez peut-être : c'est l'impossibilité d'une connaissance métaphysique, en entendant par métaphysique une science capable de saisir en lui-même le réel / l'intelligible : "nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous même" Critique de la raison pure, Préface à la seconde édition (coll. quadrige PUF, p. 19). Platon s'est donc trompé : les "Idées" (ou "Formes") qui peuplent le monde intelligible nous sont structurellement inaccessibles : "La colombe légère, lorsque, dans son libre vol, elle fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle réussirait bien mieux encore dans le vide. C'est justement ainsi que Platon quitta le monde sensible parce que ce monde oppose à l'entendement trop d'obstacles divers, et se risqua au-delà de ce monde, sur les ailes des idées, dans le vide de l'entendement pur." (ibid., page 36). Et n'essayez pas de m'attendrir à ce sujet... Vous pouvez pleurer tant que vous voudrez, cela ne changera rien à l'affaire : les seules idées (avec une minuscule), ce sont nos idées. Mais nos idées n'incarnent pas l'essence des choses. Hélas. Et je suis désolé de remuer le revolver dans la plaie, mais "l'usage dogmatique de la raison sans critique ne mène [...] qu'à des assertions sans fondement, auxquelles on en peut opposer de tout aussi vraisemblables, et par suite, au scepticisme." (toujours ce sacré ibid., page 45). Séchez vos larmes chère appletree (je vous repasse un autre mouchoir en papier - avec baume protecteur au calendula ?).

    Pour aborder Kant, je vous suggère la lecture du petit livre d'initiation de Georges Pascal intitulé Pour connaître la pensée de Kant, publié aux éditions Bordas. Cet ouvrage (de moins de 200 pages - pour parler de tout Kant, c'est peu !) doit pouvoir orienter votre réflexion, peut-être, qui sait, avant la lecture de la Critique de la raison pure... Ce n'est pas un ouvrage pour les savants. Pour cela, il est souvent dénigré par nos maîtres, à l'Université, mais, justement, c'est peut-être bon signe ;-))

    Vous lirez les commentaires de Philonenko et autres savants dans une autre vie, s'il y en a une. Quant à la Cripure, comme disent les étudiants, il est évident que c'est un vrai livre important (incontournable comme on dit aujourd'hui) de philosophie : épais (on se demande s'il est licite de le tenir pour un format poche dans la collection GF), labyrinthique, ennuyeux, rébarbatif, passionnant. Et finalement indispensable. Il faut le lire, et sans attendre la prochaine réincarnation (sinon...).

    Plus dans les réponses de la messagerie Philia, notamment sur les idées à la mode de Kant : Où la vérité noumène (le diable s'il y a un jeu de mot dans ce titre), et A priori ou inné ?

    Voyez aussi sur la toile. Par exemple, j'ai trouvé ces deux sites intéressants pour une première approche de Kant en explorant la page liens de Philia (incroyable : je découvre ce que j'ai déjà trouvé !) : Un résumé de la lumineuse introduction de G. Pascal ("lumineuse"... sic !). En somme, c'est le résumé du résumé d'une somme ! Voyez aussi cette Introduction à la philosophie critique d'Emmanuel Kant.

    Evidemment, le kantisme n'est pas la seule philosophie (eh non), et vous faites bien d'évoquer le perspectivisme de Nietzsche. Mais c'est une autre histoire, et ce sera, si vous voulez bien, pour une autre fois. Il faut parfois dormir. Et puis lisez d'abord Kant (quelle autorité !!), sinon vous ne comprendrez pas bien comment Nietzsche entend le démolir (en le traitant en quelque sorte de platonicien refoulé). Prenez des notes : je relève votre copie demain matin - au plus tard.

  • Concernant votre deuxième point : "Le monde des idées chez Platon n'est pas hors de portée il me semble." Il vous semble bien. Vous avez tout bon. C'est ce que nous disions plus haut, et l'allégorie de la caverne est là pour nous suggérer (en images) que nous pouvons nous hisser à cette altitude, sous réserve, cela va de soi, de partir en recherche, c'est-à-dire de nous convertir à la philosophie. "Cependant, les poètes ne peuvent pas les atteindre mais seulement le philosophe. Pourquoi cette toute puissance du Logos et cette conception dédaigneuse de la poésie (cela se justifie t-il seulement par le fait que cette époque croyait la seule raison capable d'élucider ce supposé réel ?) ?" Vrai aussi, et cela parce que, selon Platon, le poète ne sait pas vraiment ce qu'il dit ni - surtout - comment lui vient ce qu'il dit. La poésie est donc, en ce sens, tout le contraire du "langage qu'utilise le philosophe". Quant à votre dernière remarque, elle est fort intéressante, mais il faudrait que j'arrête définitivement de dormir (et même de rêver) : "Quand il dit 'table', le philosophe n'a pas atteint pour autant l'essence de la table...".

    Bon alors brièvement : il me semble que Platon vous répondrait que les mots ne sont que les habits des pensées. A nous de ne pas endosser n'importe quel habit et d'éviter de "croire" au pouvoir magique des mots (= le Logos). Après tout, on est souvent contraint (contrairement à votre exemple, qui, en l'occurrence, est trop simple) d'utiliser plusieurs mots pour penser, lorsque le concept n'est pas lexicalisé : la vérité n'est sans doute pas dans les mots, mais comment éviter de travailler avec les mots pour cheminer vers la vérité ? Vous qui - si je me souviens bien - êtes linguiste, pensez à la distinction saussurienne entre langue et parole... Ainsi, lorsque Bergson critique "le langage", que critique-t-il, au juste, sinon les mots (= les mots pris un à un, isolément). Mais comment procède-t-il pour opérer cette critique des mots pris un à un, isolément ? Vous avez deviné : il parle, et mieux même, il écrit ! Donc il faut le prendre au mot (!) : il faut espérer que le langage (= le Logos entendu non comme lexique mais comme discours vivant) puisse nous guider, par un travail - dialectique, dirait Platon - avec eux et sur eux, vers la vérité.

Voilà. Evidemment, j'ai comme d'habitude à peine fait le tour de vos questions, qui sont toujours très pertinentes. A propos : Chiche ! je vous embauche ! Il y a tout plein de boulot (en CDD pour commencer) chez Philia.

D'ici là, bon réveillon - platonicien / kantien / ou autre... Biffer la mention inutile (autre, c'est bien aussi !). Mais faites preuve de sagesse : ne dévorez pas toutes les truffes au chocolat le même soir. En effet, si vous y réfléchissez bien, une dizaine - tout au plus - devrait suffire à vous rendre malade.

Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

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