=> 26/11/2005 : Bonjour Mathilde. J'ai attendu, mais vous ne m'avez pas communiqué le nom et l'adresse de la personne qui a inventé les conseils de classes, les bulletins trimestriels, etc. Je vous réponds tout de même ;-)

...Mais avant, juste un mot pour ne pas s'égarer dans l'oeuvre de Platon : dans toutes les traductions (peu importe en quelle langue) comme dans l'édition grecque, vous trouverez les mêmes repères. Ainsi, le Gorgias commence toujours en 448a, et la fin est toujours en 527e. Cela signifie : page 448 colonne a, et page 527 colonne e de l'édition dite 'princeps' (c'est-à-dire, littéralement, "première"). Avez-vous bien compris ? ...Attention : interro surprise mardi !!

Donc voilà : votre remarque est bien compréhensible. La rhétorique est l'art des beaux discours, et Gorgias se montre fort peu loquace : comment l'expliquer ? Rappelons les faits, comme disent les historiens : Gorgias se vante de pouvoir répondre, grâce à son art, à n'importe quelle question. Interrogé, son ami Polos dit que c'est un bel et grand art... mais oublie de le définir (448c), ce qu'aussitôt, bien sûr, Socrate ne manque pas de relever (448d). Le mieux, dit-il alors, ne serait-ce pas d'interroger Gorgias lui-même (449a), toujours sur le mode de la discussion (449b), par questions / réponses brèves ? L'interrogatoire est accepté par "maître" Gorgias, qui ne se doute pas du tout de ce qui l'attend... Puis, voyant que Gorgias est "coincé" par Socrate (460e-461b), Polos vole à son aide, mais en se lançant dans un long discours, passablement décousu (461bc). Socrate le rappelle alors à l'ordre (461c-462b), et Polos accepte de discuter, mais en renversant les rôles. C'est lui, maintenant (462b), qui interrogera Socrate, mais il "décroche" très vite (462c) : les réponses de Socrate lui paraissent obscures, et les rôles se renversent à nouveau. Socrate établit alors que la rhétorique n'est même pas une sorte d'art, puisque ce n'est pas un art du tout - seulement une "flatterie", ou plutôt un genre de flatterie, comparable à la gastronomie (464b-466a). La discussion roulera ensuite sur le pouvoir (puisque selon Polos la rhétorique donne un grand pouvoir) puis sur la question de la justice (vaut-il mieux la commettre, ou bien la subir ?), et cela jusqu'à l'intervention furieuse de Calliclès (481b).

En bref : tout le monde est convié à jouer le jeu de la discussion par questions / réponses brèves, même si, souvent, Socrate doit rappeler son monde à l'ordre. Voyez notamment en 457c-458b ce rappel fait à Gorgias, qui, comme le dit Socrate, confond discuter et disputer : Gorgias redevient vite, en effet, le féroce rhéteur qui ne distingue pas entre "avoir raison" et "chercher la vérité"... Réfutes-moi donc, lui dit en substance Socrate, puisque tu n'aimes pas être réfuté... mais aussi poursuis ton effort pour discuter plutôt que de discourir, et donc aussi pour accepter d'être réfuté, si la chose vient à se produire.

On voit bien, dans ces deux entretiens (Socrate / Gorgias et Socrate / Polos), que les "maîtres" de la persuasion que sont les rhéteurs ne savent pas précisément de quoi ils sont spécialistes. Donc oui, vous avez raison : Socrate sait bien mieux qu'eux en quoi consiste vraiment la rhétorique : un "art" de la tromperie, moyen purement verbal de faire croire en donnant l'apparence de la vérité afin de tromper les foules. Nul souci réel de la vérité et de la moralité n'anime l'art rhétorique, qui doit, pour cette raison, être considéré comme l'ennemi de la sagesse et de la philosophie.

Quant à Calliclès, c'est une autre histoire... Calliclès est un "coriace" !

Préparez-vous donc à assiter à une belle empoignade, car la bagarre, cette fois, sera - à tous égards - des plus rudes ! Donnez de vos nouvelles. Avec mes...