Chargement en cours . . . 

Courrier PHILIA

 Philia [accueil]...    imprimer ce document...   fermer cette fenêtre...

COURRIER


 

Hegel : art et apparence...
10/04 & 17/04/2005

De Snap99, encore lui, le 10/04 & le 17/04 : "Bonjour. Je retente ma chance, vos réponses m'ayant été très profitables. De ce texte de Hegel (ci-dessous), je pense comprendre que l'art reproduit, s'affranchit du réel en donnant une existence matérielle et sensible aux objets qu'il produit en y ajoutant une spiritualité humaine, c'est en cela qu'elle nous touche, sensibilise. L'impression visuelle devant le sujet d'un tableau est la même que devant l'objet réel (c'est d'ailleurs pourquoi on reconnaît l'objet dans le tableau). Pour Hegel, l'art permet d'atteindre le moi, et plus qu'une imitation du réel, l'art idéalise aussi le temps, niant ainsi son écoulement, lui donnant la puissance d'une idée, et matérialise ce qui est du domaine spirituel. Je pense citer ici le peintre Goya qui a fixé pour des siècles le regard des résistants espagnols, ou Guernica de Picasso. Cependant l'objectif de l'art n'est pas de reproduire la nature car même s'il existe une beauté naturelle, la beauté artistique lui est supérieure car du domaine de la liberté alors que la nature est soumise aux lois. Voilà : mes idées sont-elles justes ? Que puis je encore ajouter ? [...] Toutefois, j'ai une question n'ayant qu'un niveau ordinaire : Hegel, dans ce texte, parle d'apparence, ce qui pour moi signifie illusion, quelque chose d'irréel, alors que Hegel a l'air de prendre "l'apparence de cette manifestation des objets", leur représentation comme "des répliques réelles" de ces objets ; l'apparence est ce qui parait réel pour lui, pour moi c'est un paradoxe, mais je n'ai pas dû comprendre le sens. Ce qui semble vrai, c'est qu'un peintre ne peut représenter en vrai une pomme par exemple, ni les 3 dimensions, ni l'odeur... Donc il représente une apparence, mais est-elle pour autant réelle ? Je reste bloqué par cette idée... Peut-être pouvez-vous m'aider ?Au plaisir de vous lire bientôt. Merci."

Mais ce qui nous attire dans ces contenus, quand ils sont représentés par l'art, c'est justement cette apparence de cette manifestation des objets, en tant qu'oeuvres de l'esprit qui fait subir au monde matériel, extérieur et sensible, une transformation en profondeur. Au lieu d'une laine, d'une soie réelles, de cheveux, de verres, de viandes et de métaux réels, nous ne voyons en effet que des couleurs, à la place de dimensions totales dont la nature a besoin pour se manifester nous ne voyons qu'une simple surface, et, cependant, l'impression que nous laissent ces objets peints est la même que celle que nous recevrions si nous nous trouvions en présence de leurs répliques réelles...
      Grâce à cette idéalité, l'art imprime une valeur à des objets insignifiants en soi et que, malgré leur insignifiance, il fixe pour lui en en faisant son but et en attirant notre attention sur des choses qui, sans lui, nous échappaient complètement. L'art remplit le même rôle par rapport au temps et, ici encore, il agit en idéalisant. Il rend durable ce qui, à l'état naturel, n'est que fugitif et passager; qu'il s'agisse d'un sourire instantané, d'une rapide contraction sarcastique de la bouche, ou de manifestations à peine perceptibles de la vie spirituelle de l'homme, ainsi que d'accidents et d'événements qui vont et viennent, qui sont là pendant un moment pour être oubliés aussitôt, tout cela l'art l'arrache à l'existence périssable et évanescente, se montrant en cela encore supérieur à la nature.

=> 21/04/05 : Rebonjour cher Snap, et bravo pour vos progrès. Votre courrier du 10 avril montre que vous avez bien compris l'intention de Hegel : montrer que l'on ne peut à la légère considérer l'artiste comme un simple illusionniste, même très habile. L'art, à sa façon, dit la vérité. Toutefois, admettre cette thèse pose en effet problème, et votre deuxième courrier est bien compréhensible : si l'artiste (peintre ou sculpteur) ne nous livre que des apparences, n'est-il pas un illusionniste ? Quelle différence, en effet, entre l'apparence et l'illusion ? Si l'art donne à voir des apparences, comment peut-on soutenir qu'il manifeste la vérité ? La solution est bien sûr... dans le texte lui-même (l'extrait est un peu plus long dans la base Philia) : l'apparence artistique n'est pas l'apparence superficielle et trompeuse qui conduit à l'illusion. A proprement parler, il y a illusion lorsque nous confondons littéralement l'apparence avec la réalité, d'ailleurs, pourrait-on ajouter, en nous attachant à cette confusion, comme si elle répondait à nos désirs. Ainsi, les hommes ont commis une erreur en prenant la course apparente du soleil pour un mouvement réel. Mais le mouvement apparent du soleil, de son lever à son coucher, n'a rien d'illusoire en tant que tel ; l'illusion, en l'occurrence, commence avec la croyance - qui nous "arrange" bien - en la réalité de l'immobilité de notre chère vieille planète. Mais alors même que nous avons des sueurs froides en visionnant un film d'Hitchcock, nous savons bien qu'il s'agit d'un film, c'est-à-dire d'une fiction. Nous ne sommes donc pas dupe. Et nous ne sommes pas davantage dans l'illusion lorsque nous avons l'impression d'une profondeur spatiale lorsque nous sommes placés devant un tableau, qui, par définition, ne possède que largeur et hauteur. "L'impression que nous laissent ces objets peints" a beau - comme l'écrit ici Hegel, être "la même que celle que nous recevrions si nous nous trouvions en présence de leurs répliques réelles", nous n'en faisons pas moins l'expérience d'une différence radicale. La preuve : "tous ces sujets et des centaines d'autres [...], dans la vie courante, nous intéressent à peine".

Ce qui serait ridicule, explique Hegel dans un autre extrait de ses Leçons d'esthétique (sur 2 pages dans Philia : 1, et 2), c'est de croire que l'oeuvre d'art a une valeur seulement à titre d'imitation, puisqu'alors la meilleure peinture, la plus belle oeuvre, ne serait qu'un chef d'oeuvre de la technique, - ce qui conduirait à confondre le sens esthétique et la technicité, la beauté - qui, selon Hegel, est manifestation du vrai, et la perfection de la réalisation, qui ne peut, de toute façon, qu'être "un jeu présomptueux dont les résultats restent toujours inférieurs à ce que nous offre la nature". Voyez dans le même sens Pascal : "Quelle vanité que la peinture, dont on n'admire point les originaux". Et en effet, à quoi bon copier ce qui existe déjà ? Encore Hegel, dans l'un des textes cités : "En voulant rivaliser avec la nature par l'imitation, l'art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant." En réalité, estime Hegel, on confond imitation et révélation : le but de la peinture, en effet, n'est pas de copier habilement le réel en produisant des trompe-l'oeil, mais de le sauver, en en proposant une représentation "plus vraie que nature", qui l'arrachera "à l'existence périssable et évanescente". En fin de compte, on peut donc toujours dire que l'art "a une apparence qui lui est propre, mais non une apparence tout court" (encore un autre extrait dans Philia) : "l'art [...] présente sur la réalité extérieure la même supériorité que la pensée : ce que nous recherchons, dans l'art comme dans la pensée, c'est la vérité. Dans son apparence même, l'art nous fait entrevoir quelque chose qui dépasse l'apparence : la pensée".

A noter : cette thèse de l'art comme révélation est fort proche de celle de Bergson. Et bien sûr, si Hegel dit vrai, la vieille critique platonicienne de l'art comme imitation nous éloignant de la vérité est totalement à rejeter - ce qui est fort bien expliqué dans ce texte de Panofsky.

Bon courage pour la suite. Je réponds dès que je peux à votre demande de références de lectures. A bientôt donc. Avec mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 061






            


 - Contrat Creative Commons (certains droits réservés) -