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COURRIER


 

Hobbes : la société, un fait de nature ?...
14/10/2004

De Nono93... le 14/10/04 : "Pourriez-vous m'aider pour le commentaire d'un texte de Hobbes qui commence par : "Il est vrai que selon la nature ce serait une chose fâcheuse à l'homme, en tant qu'homme, c'est-à-dire [...] ce n'est donc pas la nature, mais la discipline qui rend l'homme propre à la société." ? Je sais que le texte traite de l'homme et de la société. La première partie de mon plan est "l'homme et la solitude", la deuxième est " l'ignorance de certains sur la vie en société". En ce qui concerne la troisième partie je n'en ai pas trouvé car je ne comprends pas vraiment la troisième partie du texte. De plus je ne vois pas comment je pourrais introduire ce texte. Merci de m'aider en me donnant quelques pistes et quelques éclaircissement pour m'aider à peaufiner mon plan. Merci d'avance."

=> 19/10/04 : Bonjour. Si je comprends bien, il s'agit de ce texte, extrait du début du De Cive (coll. GF, p. 93) :

Il est vrai que selon la nature ce serait une chose fâcheuse à l'homme, en tant qu'homme, c'est-à-dire dès qu'il est né, de vivre dans une perpétuelle solitude. Car, et les enfants pour vivre, et les plus avancés en âge pour mieux vivre ont besoin de l'assistance des autres hommes. De sorte que je ne nie pas que la nature ne nous contraigne à désirer la compagnie de nos semblables. Mais les sociétés ne sont pas de simples assemblées, où il n'y ait qu'un concours de plusieurs animaux de même espèce ; elles sont, outre cela, des alliances et des ligues soutenues par des articles, qu'on a dressées et cimentées par une fidélité qu'on s'est promise. La force de ces pactes est ignorée des enfants et des idiots ; et leur fidélité n'est pas connue de ceux qui n'ont point éprouvé les incommodités que le défaut de société entraîne. D'où vient que ni ceux-là ne peuvent point contracter de société, parce qu'ils ne savent ce que c'est ; ni ceux-ci ne se soucient point de la contracter parce qu'ils en ignorent les avantages. Et de là il appert que, puisque les hommes sont enfants, lorsqu'ils naissent, ils ne peuvent pas être nés capables de société civile ; et que plusieurs (ou peut-être la plupart) par maladie d'esprit, ou par faute de discipline, en demeurent incapables toute leur vie. Cependant les uns et les autres, les enfants et les adultes ne laissent pas de participer à la nature humaine. Ce n'est donc pas la nature, mais la discipline qui rend l'homme propre à la société.

Le De Cive (en français : Le Citoyen) est sous-titré les "fondements de la politique". Il est divisé en 3 grandes "sections" : La liberté, L'empire, La religion. La première section, La liberté, comporte 4 chapitres :

  1. De l'état des hommes hors de la société civile
  2. De la loi de Nature en ce qui regarde les Contrats
  3. Des autres lois de la Nature
  4. Que la loi de Nature est une loi divine

Votre texte se situe au début du chapitre 1, dans lequel Hobbes entend établir que "la crainte réciproque a été le commencement de la société civile". Cette thèse peut se décomposer comme suit :

  • La société n'est pas naturelle
  • Il faut situer son origine dans une "crainte réciproque"

C'est sur le premier point que porte le texte. Le début du chapitre 1 en avait souligné l'originalité et la modernité, dans la mesure où les anciens Grecs tenaient la société pour un fait de nature : n'était-il pas évident que l'homme était naturellement disposé à la vie sociale ? Ainsi, selon Aristote, l'homme est nécessairement et par nature "un animal politique" (zôon politikon). Cela n'a rien d'un accident : l'homme est destiné à vivre en communauté. Mais Hobbes conteste cette idée, qui n'est selon lui qu'un "axiome".

Mais la connaissance de ce contexte n'est pas absolument nécessaire : on peut remarquer en effet que l'extrait proposé commence par une concession ("Il est vrai que"), ce qui laisse déjà entendre que l'auteur va évoquer une thèse qu'il juge acceptable, mais qu'il faudra se garder de confondre avec la thèse contestée (= celle des "Grecs").

Qu'est-ce donc qu'il faut accepter pour vrai ? Que l'idée que "l'homme, en tant qu'homme, c'est-à-dire dès qu'il est né" puisse "vivre dans une perpétuelle solitude" corresponde à la réalité ? Certainement pas. L'auteur s'en explique aussitôt : l'homme a besoin de ses semblables. Et puisque ce besoin est ressenti, il faut donc accepter aussi que les hommes éprouvent tous le désir de s'associer. La solitude humaine est donc proprement invivable.

..."Mais les sociétés ne sont pas de simples assemblées, où il n'y ait qu'un concours de plusieurs animaux de même espèce" : deuxième moment du texte. La concession faite dans la première phrase ne signifie pas que l'association des hommes puisse être purement et simplement assimilée à l'agrégation sauvage qu'on observe dans de nombreuses espèces animales. En effet, explique Hobbes, les assemblées humaines "sont, outre cela, des alliances et des ligues soutenues par des articles, qu'on a dressées et cimentées par une fidélité qu'on s'est promise". En d'autres termes, les sociétés humaines sont fondées sur des conventions : on se sera promis de vivre ensemble sous réserve d'en tirer bénéfice. Ces promesses seront plus ou moins explicitement formalisées sous forme de "pactes", ce qui signifie que l'association reposera sur un contrat social. Rien de tel ne peut être observé dans le monde naturel, c'est-à-dire dans les sociétés animales : les animaux sociaux vivent ensemble, mais les hommes s'associent, ce qui signifie que le besoin naturel des hommes de vivre ensemble ne rend pas entièrement compte de leur association. Les sociétés humaines ne sont donc pas entièrement naturelles, et l'extrait pose donc le problème de la distinction entre le social et le politique. On peut sans doute rendre compte de la société par l'évocation de nécessités naturelles (le besoin d'assistance évoqué dans la deuxième phrase), mais les sociétés humaines sont de surcroit (Hobbes dit "outre cela") des sociétés organisées par des lois : une fourmilière est une société hautement organisée, mais n'est pas une cité (en grec : polis, qui donne en français, comme vous savez, politique).

Troisième et dernier moment du texte : une argumentation s'impose pour affermir la thèse. "La force de ces pactes est ignorée des enfants et des idiots". Je vous laisse le soin d'examiner comme Hobbes s'en explique dans les lignes qui suivent. Mais l'important est de comprendre le principe de l'argumentation : les enfants, comme les idiots, ne perçoivent pas les avantages de l'association et "les incommodités que le défaut de société entraîne". Or les hommes sont nés enfants. Donc ils n'éprouvent pas immédiatement, c'est-à-dire pas naturellement, le besoin de s'associer. Comment alors soutenir encore que les sociétés humaines sont "naturelles" ?

=> "Ce n'est donc pas la nature, mais la discipline qui rend l'homme propre à la société". CQFD (= ce qu'il fallait démontrer). Les sociétés humaines ont beau être fondées en nature (sur le besoin mutuel d'assistance des individus qui les composent), elles ne se constituent vraiment que par la considération des avantages qu'on en peut retirer et des inconvénients que présenterait "une perpétuelle solitude". Cette considération est un fait de pensée, non pas un instinct, et elle aboutit à un artifice (= le contrat social, qui instaure une "discipline" de façon originale, - à travers l'institution des lois), non à une simple agrégation naturelle (= le troupeau, la colonie, la horde). Ou encore : la société civile n'est pas une donnée naturelle, et on ne peut donc pas dire que l'homme est naturellement un animal politique.

Ce que ne dit pas explicitement le texte, c'est quels sont les incommodités de la solitude et les avantages de la société civile, mais on peut, je crois, deviner déjà un peu, ou bien relire le début de ma réponse...

Pour introduire l'étude de ce texte, il faut, bien sûr, poser ce problème : la société est-elle naturelle ou artificielle. Elle semble naturelle puisque tous les hommes vivent en société. Or ce qui universel trahit d'habitude des faits de nature. Mais la société humaine c'est aussi la cité, organisée par des lois, et les lois sont des conventions : comment comprendre cette contradiction ? Pour plus de détails sur les exigences de l'introduction, je vous recommande vivement de prendre connaissance de la fiche de méthode sur le problème en philosophie, ainsi que les indications plus précises concernant le cas du commentaire de texte.

Pour évaluer l'extrait, il paraît vraiment utile de comparer avec le célèbre texte d'Aristote, qui est manifestement en ligne de mire.

Voilà. J'espère que ces quelques indications vous auront dépanné. Bon courage, et toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

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