Chargement en cours . . . 

Courrier PHILIA

 Philia [accueil]...    imprimer ce document...   fermer cette fenêtre...

COURRIER


 

Peut-on forcer quelqu'un à être libre ?...
10/10/2004

Ce courrier de Chateaubriand :

"Bonjour,

Je souhaiterai avoir votre avis sur mon ébauche de plan de dissertation sur le sujet : "Peut-on forcer quelqu'un à être libre ?". Je vous le soumets afin d'avoir votre avis et peut-être un ou deux conseils...

INTRO

1°) Renoncer à sa liberté est-ce renoncer à son humanité ?
* Pourquoi préférer la servitude ?
+ Réf. à La Boétie, Oscar Wilde et Rousseau (Du contrat Social) + Allégorie de la Caverne, Compagnons d'Ulysse
*esclaves de l'Antiquité = animaux selon Aristote...

2°) La liberté, une idée universelle et identique par-delà le monde ?
* Actualisation du problème : volonté de "parachuter" de la démocratie par les USA en Irak ; condition de la femme au Moyen-Orient notamment, libre par certains côtés mais attachée à des valeurs religieuses, qui nous paraissent (à nous Occidentaux), liberticides...

3°) Mais finalement, forcer quelqu'un à être libre signifie-t-il alors respecter la loi ? (loi islamique, loi pénale, civile...)
*s'interroger sur la question même des lois (positivisme juridique ou droit du plus fort ?) cf. Thrasymaque contre Socrate
*sont-elles à même de garantir la liberté et la cohésion sociale ? cf. Rousseau notamment

CONCLUSION

Voilà, pour cette ébauche de plan. J'ai pourtant comme l'impression qu'il manque quelque chose. Par ailleurs, j'ai un doute quant à la pertinence de ma deuxième grande partie (relativisme de la notion de liberté à travers le prisme du voyage...).
Je vous remercie pour votre aiguillage [...]."

=> 17/10/04 :

Bonjour, et pardon pour le retard (d'autant que je n'imaginais pas devoir répondre à Chateaubriand !). Je suis assez débordé en ce moment, et vous en devinez sûrement la raison...

Votre ébauche contient des éléments fort intéressants. Il est pourtant dommage que vous n'en donniez expressément ni le début (= l'introduction) ni la fin (= la conclusion).

Pour l'introduction, j'imagine que vous aurez facilement identifié le paradoxe suggéré par la question : comment en effet forcer à la liberté sans contredire la liberté ? Forcer, en effet, c'est contraindre ; or la liberté n'est-elle pas absence de contrainte ? Il semble donc qu'on ne peut sans se contredire prétendre qu'on puisse libérer en contraignant (= thèse A, la plus "évidente"). Notez au passage l'utilisation du questionnement "peut-on" dans le sens de "est-ce légitime", "en a-t-on le droit" : de quel droit pourrait-on nous forcer à être libre ? Ne sommes-nous pas libres, au contraire, d'être libres de la façon qui nous convient ? A moins qu'on veuille dire qu'il faut forcer ceux qui, d'une manière ou d'une autre, sont asservis ? En ce sens, il est vrai, l'homme n'est-il pas fait pour la liberté ? Voyez déjà la libération évoquée dans l'allégorie de la caverne de Platon, mais surtout la fameuse formule de Rousseau : "L'homme est né libre, et partout il est dans les fers" (Du Contrat Social, Livre I chapitre 1). "L'homme est né libre" = il est né pour la liberté. Or, nous le savons bien, l'homme est un être social. Dès lors, la liberté humaine ne peut se développer que politiquement. Tel est l'objet, justement, du livre de Rousseau, dans lequel il désigne la garantie de cette liberté réelle : le contrat social, dont vous devriez prendre connaissance. Les hommes sont certes libres de défaire ce pacte pour restaurer leur "liberté naturelle", mais ils doivent alors rester cohérents et retourner à l'état antérieur = l'état de nature. Voilà pourquoi, à la fin du chapitre 7 de ce même Livre I [je mettrai dès que possible ce texte en ligne], Rousseau écrit que si le pacte social n'est pas "un vain formulaire", et, bien sûr, si nous n'usons pas de notre liberté de le défaire, alors "quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera à être libre" (au sens de la liberté civile instituée par la loi)... De là votre sujet, et le problème vient donc du conflit apparent entre les deux thèses :

thèse A = La liberté est pouvoir de choisir, avec l'indice i(A) = la liberté est absence de contrainte.
thèse B = On forcera les hommes à la liberté, avec l'indice i(B) = la liberté implique l'obéissance à la loi.

Il est évident (?) que le mot liberté n'est pas entendu de la même façon dans les deux thèses : la thèse A suggère en effet une liberté naturelle (bornée malgré tout par notre pouvoir, nos capacitées, notre force), tandis que la B renvoie à la liberté civile instituée et garantie par les lois.

>j'ai un doute quant à la pertinence de ma deuxième grande partie (relativisme de la notion de liberté à travers le prisme du voyage...).

...Je trouve votre interrogation tout à fait pertinente et légitime. Simplement, comme je ne fais que deviner votre conclusion, je me demande s'il ne vaudrait pas mieux utiliser cette approche comme un argument en faveur de A dans une première partie. La partie II serait alors celle que vous proposez dans votre courrier en 1. La partie III serait inchangée (III = 3), mais sans doute faudrait-il qu'elle énonce très explicitement les limites de l'usage de la force : quelle loi ? par quels moyens ? Ce serait alors l'occasion de préciser ce qu'il faut entendre par démocratie.

Une dernière chose : à vrai dire rien n'oblige à restreindre la question à la liberté politique. Et l''évocation de l'allégorie platonicienne suggère bien une autre voie : la question de l'éducation.

J'espère que ces quelques remarques pourront vous aider un peu - tout en vous rassurant, car ce que vous avez pensé paraît déjà très prometteur... mais aussi que ma réponse n'arrive pas trop tard !

Avec mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 040






            


 - Contrat Creative Commons (certains droits réservés) -