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édition originale 16-03-2003
actualisée le 12-05-2008

Philosophie et littérature...
24/01/2004

Kartapus remet ça (le 24/01) : "Bonjour cher "philia", pour une fois je ne vous appelle pas à l'aide... Toutefois une question me préoccupe : pourquoi les philosophes ne s'entendent-ils guère avec les littéraires ? Ce que je veux dire, en plus concret, c'est pourquoi mon prof de philo ne cesse pas de critiquer la littérature et mon prof de littérature la philo ? Ce sont pourtant deux grands intellectuels, agrégés, normaliens... Est-ce parce que la philo et la littérature ne sont pas "compatibles" ? La philo reprocherait-elle à la littérature de ne pas chercher la vérité, donc d'être plus ou moins inutile ? Pourtant, Rousseau, Voltaire, Diderot, Sartre... on peut dire qu'ils ont fait des deux ? Bref voilà une question assez claire j'espère, et sûrement très naïve... Merci d'avance et une fois de plus un grand bravo pour votre travail !! PS : cessez de me demander ma carte bleue... j'en ai pas !"

=> 01/02/04 : Cher Kartapus, votre question n'est pas si naïve. C'est moi qui ai été naïf en croyant que vous m'enverriez votre carte bleue. Quel dommage de ne pas en avoir : vous devriez prendre des renseignements sur les multiples bienfaits de ce produit bancaire. Néanmoins, si Platon avait eu la chance de vous connaître, il ne vous en aurait certainement pas tenu rigueur. Car ses ennemis, les sophistes et autres rhéteurs, ne se faisaient pas prier pour se faire payer - cher - leurs leçons et leurs prestations. A mon avis, l'une des sources du débat philosophie / littérature pourrait bien être un écho de ce lointain conflit, révélé par le vieux Platon qui dénonçait l'absence de scrupule des orateurs, gens intéressés pour qui la vérité et la justice n'avaient aucune importance. La rhétorique lui apparut en effet comme l'art de produire la persuasion dans les foules comme dans les individus, bref, comme l'art de tromper en produisant de "beaux discours". Or la rhétorique employait à profusion des effets littéraires. Les poètes, du coup, lui apparurent eux aussi comme des illusionnistes, même si, souvent, eux-mêmes ne s'en rendaient pas toujours bien compte. Ainsi, "dépouillées de leur coloris artistique, et citées pour le sens qu'elles enferment, tu sais, je pense, quelle figure font les oeuvres des poètes, puisqu'aussi bien tu en as eu le spectacle.- Ne ressemblent-elles pas aux visages de ces gens qui n'ont d'autres beautés que la fleur de la jeunesse, lorsque cette fleur est passée ? » (République, Livre X). A ses yeux, la rhétorique et la poésie n'étaient donc pas seulement inutiles, elles lui semblaient dangereuses, et même nuisibles.

Son attitude à l'égard des mythes est, comme on sait, plus complexe : souvent en effet celui qui utilise les mythes n'est pas loin d'être "mythomane", et rejoint alors le lot de ceux que nous avons évoqués, les "artistes" en général. Mais vous savez aussi que, dans ses oeuvres, Platon a fréquemment attribué à Socrate, qui l'incarne pour une bonne part, le goût d'évoquer des mythes... Entre mythos et logos, entre récit imagé fantastique et discours rationnel, il n'est pas toujours si facile de trancher ! C'est que le mythe, s'il nous demande d'adhérer à une sorte de délire, prétend tout de même "dire la vérité". A sa façon, bien sûr, mais tout de même. Certes, il rompt le flux de la démonstration et du souci de n'évoquer que des faits avérés, mais bien souvent, il intervient pour dire ce qui, sans lui, serait difficile à comprendre. Il relaie donc la pensée conceptuelle, quand elle devient trop subtile, quand il n'a pas, plus ouvertement encore, une fonction pédagogique. Il ne remplace pas le discours vrai, car il ne donne à représenter que des choses "vraisemblables", qui, parfois, il faut l'avouer, sont même complètement invraisemblables : il prétend dévoiler un sens... même si c'est toujours de façon voilée. Ou encore il intervient à point nommé pour stimuler une vertu (le courage, la justice...), pour faire naître l'espérance, pour consolider la foi qui s'avère nécessaire... Il existe un petit livre très abordable et recommandable sur ce sujet, qui permet aussi de se familiariser avec la pensée de Platon de façon originale et agréable : Geneviève Droz, Les mythes platoniciens, aux éditions du Seuil - dans la collection "Points / Sagesse".

Bref, les rapports entre la philosophie et la littérature (ou entre la littérature et la philosophie, pour ne froisser personne !) sont depuis longtemps assez houleux, mais aussi plus compliqués qu'il n'y paraît d'abord. Les "reproches" qu'elles s'adressent mutuellement révèlent d'ailleurs une possible contradiction inhérente à la pensée. En effet, "les philosophes" peuvent reprocher à la littérature son manque de rigueur, sa complaisance pour la fiction et son manque d'intérêt pour "le réel", tandis que "les littéraires" peuvent estimer que le discours philosophique fait preuve de sécheresse, et obscurcit ce qu'il prétend éclaircir. Plus simplement, la littérature, en usant du récit et de l'image, serait trop "indirecte", tandis que la philosophie, en s'en tenant au concept, serait trop "directe". L'une serait obscure par l'effet des images, l'autre par l'usage des concepts. L'une se rendrait coupable de s'en tenir à la singularité des récits, l'autre d'être abstraite à force de vouloir saisir l'universel. La littérature commettrait le péché de "légèreté" et son manque d'ambition concernant la vérité serait criant, tandis qu'à la philosophie serait reprochée la "lourdeur" et la prétention.

Exemple, emprunté à un ouvrage classique régulièrement recommandé aux étudiants en philosophie, qui prétend établir qu'une oeuvre littéraire risque fort de n'être ni littéraire ni philosophique : « Il y a [donc] dans le roman ou le théâtre philosophique le danger d'une double confusion. D'une part l'universalité de la pensée philosophique est compromise dans des expériences suspectes. D'autre part la validité purement littéraire de l'oeuvre est compromise par l'idée philosophique abstraite qu'elle cherche à exprimer. » M. Gourinat, De la philosophie, Chap. I, Hachette Université, tome I, p. 50.

Ce conflit ne peut-il pas et ne doit-il être dépassé ? Du moins ne mériterait-il pas de faire l'objet d'un débat ? S'il est vrai que la "contradiction" est réelle entre l'image et le concept, entre la figure métaphorique et la démarche logique, entre le singulier et l'universel... pourquoi se battre ? D'autant que des liens existent, vous le rappelez vous-même, entre la philosophie et la littérature, et que ces liens peuvent être amicaux. Par exemple, l'oeuvre théâtrale de Sartre est manifestement philosophique, tout comme l'oeuvre romanesque de Proust, qui, soit dit au passage, s'intéressait de près à la philosophie - notamment à celle de Bergson - au point de formuler parfois le regret de n'avoir pas été "philosophe". Des oeuvres littéraires peuvent fort bien faire comprendre des idées philosophiques. Par exemple, on trouve couramment dans les recueils de textes philosophiques des extraits du maintenant classique Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier (pour réfléchir à la question d'autrui), et Sartre (dans Situations I), a montré dans des analyses très précises que l'univers du roman est en fait un univers philosophique. Inversement, il y a bien, pour faire vite, "quelque chose de littéraire" dans l'écriture philosophique. Le "style" des philosophes n'est en rien "accidentel", ou n'est pas seulement affaire de rhétorique argumentative dans la mesure où il participe activement au dévoilement du vrai. Ou bien : la rhétorique argumentative ne mérite-t-elle pas mieux que ce qu'en dit Platon (voir ici) ? Le "roman familial" est raconté par un Freud qui a des talents de romancier évidents, et les grands philosophes sont aussi de grands écrivains - même si tout le monde ne "goûte" pas également tous les styles philosophiques.

Pour finir, ce conflit me fait penser à la "haine" que vouent certains élèves des classes littéraires pour les mathématiques, et les sciences en général... aussi bien qu'au mépris de certains élèves des classes scientifiques pour les "matières littéraires", comme "la philosophie". Pourtant, par exemple, que dire du statut de l'idée sans réfléchir sur la pensée mathématique ? Que dire de la vérité en feignant d'ignorer les sciences ? Que dire du monde moderne en ignorant le pouvoir des sciences et en ne s'interrogeant d'aucune manière sur leurs limites ? Comment raisonner correctement même, sans faire le détour par la logique, qui est aujourd'hui une science ? Que dire du vivant sans la biologie ? Que dire du monde sans la physique ?... Et bien sûr, que penser d'une science sans réflexion épistémologique ? Que vaut la science sans la conscience ? Etc.

La vraie philosophie n'est pas plus cloisonnée et clivée que la vraie littérature et la vraie science. Certes, seuls quelques surdoués peuvent produire de grandes oeuvres littéraires-philosophiques. Mais est-ce une raison pour les philosophes de "critiquer" les littéraires, et pour les littéraires de "critiquer" les philosophes ? Si nous étions méchant, nous parlerions de jalousie réciproque !

Mais nous ne sommes pas méchants, et vous trouverez d'ailleurs des sites intéressants sur la toile au sujet des rapports fructueux qu'entretiennent la philosophie et la littérature. Par exemple : Papiers Universitaires, Théorie de la littérature,...

Avec toutes mes...


-: Amitiés :- P h i l i a.

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