=> 06/01/2004 : Cher visiteur, n'est-ce pas vous qui déjà il y a quelques temps frappiez à la porte de Philia pour avoir un peu d'aide concernant un sujet portant sur le préjugé ? Si tel est le cas, vous remarquerez que votre sujet a été traité dans le courrier... Soyez un peu attentif, que diable !

Concernant votre présent message : vous êtes trop modeste, car je crois que vous avez compris l'essentiel de ce que dit Kant dans la Critique de la faculté de juger à propos du génie. Mais il est vrai aussi que Kant y écrit (dans le §. 46) que "le génie est le talent naturel qui donne ses règles à l'art" (c'est moi qui souligne)... A l'art, et à l'art seulement, donc pas à la science, pas à la technique... Kant opère donc une sorte de ségrégation : malgré l'admiration qu'il voue aux grands savants, notamment à Newton, il considère que seul un artiste peut être génial. Pourquoi ? Parce que, selon lui, le concept même de génie exclut toute possibilité d'apprentissage. Bien sûr, on répondra que Newton n'a pas appris la loi d'attraction universelle de l'un de ses prédécesseurs. Mais Kant répond par avance à cette objection en remarquant que "tout cela aurait aussi pu être appris, et se trouve sur le chemin naturel de la recherche et de la réflexion selon des règles" (§. 47 - c'est Kant qui souligne). En d'autres termes, n'importe quel "gros cerveau" (l'expression est de Kant) aurait pu faire la découverte de Newton, peut-être à la même époque, peut-être un peu avant ou un peu après. Il y a d'ailleurs des faits qui vont dans le sens de cet argument dans l'histoire des sciences : par exemple, Leibniz et Newton, deux "gros cerveaux" contemporains, ont découvert simultanément le calcul infinitésimal. Au contraire, le génie est unique. A l'époque de Van Gogh, il n'y a - et il ne peut y avoir - qu'un seul Van Gogh. Et pour cause : il procède sans règle, en exprimant seulement sa nature originale, même si c'est en travaillant d'arrache pied pour y parvenir (le génie sans travail, c'est le neveu de Rameau dont parle Diderot dans son oeuvre du même nom : un génie stérile, une sorte de fou ou de bouffon qui a des "traits de génie", mais qui ne crée rien). Voir un extrait du §. 47 de la CFJ.

La thèse de Kant peut cependant être contestée. Et de deux façons : 1°) Le génie n'est-il qu'un talent naturel ? Après tout, ce sont surtout les "admirateurs" qui parlent de génie, pas vraiment les créateurs... Ainsi, selon Nietzsche, le génie n'a pas grand chose à voir avec "l'inspiration", qu'elle soit naturelle ou divine : "tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger" (voir ce texte, ici). 2°) Du coup, si le génie est avant tout une affaire de travail, et de travail long et intensif, pourquoi réserver le qualificatif de génie aux seuls artistes ? Ainsi, pour Nietzsche - encore lui - il y a des mathématiciens de génie, qui sont vraiment des génies mathématiques (voir ce texte, ici).

Pour compléter vos recherches, vous trouverez un essai intéressant en cliquant ici.

En espérant avoir pu apporter un peu de lumière à votre travail de recherche, je vous souhaite bon courage pour la suite, vous adresse tous mes voeux de réussite et mes sincères...