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COURRIER


 

Si la dissertation nous laisse la possibilité de nous exprimer librement...
12/12/2003

L'ami Mathieu adresse la question suivante à Philia : "J'aimerais savoir si la dissertation nous laisse la possibilité de nous exprimer librement (mais intelligemment) sur le sujet proposé ou bien est- ce un travail de recherche critique qui nous permet de découvrir par nous-mêmes un aspect des choses auquel nous n'aurions pas forcément pensé ? Quel est le but de la dissertation ? Et quel est le but de l'enseignement philosophique que l'on nous offre en terminale ? Ca fait beaucoup de questions d'un coup, mais si vous aviez un peu de temps pour y répondre ce serait super sympa, parce qu'on est beaucoup plus efficace et réfléchi quand on comprend ce que l'on fait."

=> 13/12/2003 : Cher Mathieu, il me semble que les réponses à vos interrogations se trouvent, du moins en grande partie... dans vos interrogations. Concernant d'abord la dissertation : y a-t-il vraiment à choisir entre la dissertation comme expression libre et intelligente et la dissertation comme travail de recherche critique ? En effet , si on admet qu'une dissertation réussie doit consister en une réflexion ordonnée, précise, et pour tout dire, comme vous l'écrivez, intelligente, il n'est pas étonnant qu'elle doive avoir un caractère critique : les mauvaises dissertations, au contraire, sont confuses, et du coup ne sont pas critiques. Par exemple, elles mélangent plusieurs thèses sans que leur rédacteur s'en aperçoive : elles sont donc confuses, parce que le tri n'a pas été fait correctement. Or, ce mot critique vient justement d'un verbe grec qui signifie "trier" : en étant confus, on manque donc d'esprit critique, et c'est par conséquent tout un de dire qu'une bonne dissertation opère de bonnes distinctions, et de dire qu'elle est un travail critique. De bonnes distinctions, vous l'avez compris, ce sont des distinctions conceptuelles compatibles avec les règles de l'entendement, c'est-à-dire avec la logique : il n'est donc pas question de prétendre qu'il y a des distinctions obligatoires, mais seulement qu'il faut mobiliser des distinctions qui soient adaptées (au sujet) et qui soient rigoureuses.

Ce que vous ajoutez me paraît très intéressant, et vous avez sans doute tout à fait raison : la dissertation nous permet de découvrir par nous même un aspect des choses auquel nous n'aurions pas forcément pensé. C'est d'ailleurs assez normal, car la pensée se forme en parlant, en dialoguant, et... en écrivant : la pensée se cherche et se trouve dans et par le discours, le langage, la parole, bref, les mots, les propositions. Penser, c'est d'ailleurs se parler, et la parole n'est pas "l'habillage" d'une "pensée pure" qui lui préexisterait. En ce sens, la dissertation doit donc pouvoir nous aider à former notre pensée. Et il n'est pas étonnant que les élèves qui ne voit en elle qu'un exercice scolaire (un simple remplissage) ont du mal à "décoller" philosophiquement : la dissertation de philosophie est ambitieuse, qu'on se le dise !

Concernant votre deuxième question : quel est le but de l'enseignement philosophique que l'on nous offre en terminale ? je vous répondrai qu'elle rejoint votre demande sur la dissertation : le professeur de philosophie est en effet une sorte de passeur - non pas tant parce qu'il est chargé de vous aider à passer le bac (encore que ce ne soit pas négligeable), mais avant tout pour vous aider à former votre pensée. C'est en cela, d'ailleurs, que votre expression, enseignement philosophique, est très judicieuse : il ne s'agit pas, en effet, d'enseigner la philosophie, par exemple sous la forme (pourtant répandue dans d'autres pays européens) d'un enseignement de l'histoire de la philosophie. Evidemment, il faut des connaissances, et notamment des connaissances en histoire de la philosophie, mais l'idée d'un enseignement philosophique est plus ambitieuse (...et difficile), en un sens, puisqu'il s'agit de former à la démarche de pensée de "la philosophie". Si donc votre professeur vous donne des outils pour penser, il fait bien son métier. S'il se contente de juxtaposer des doctrines, au sujet de telle ou telle notion, sans ordre, et sans amour, il s'est sans doute trompé : peut-être même est-il en fait professeur d'histoire-géographie ! Cela dit par plaisanterie, bien entendu ;-))

J'en suis sûr, cher Mathieu, vous ne doutez pas de l'utilité de l'enseignement philosophique, mais à ceux qui doutent, et à qui vous pourriez vous adresser, en toute amitié, cette phrase du philosophe français Gilles DELEUZE, qui fut aussi un fameux professeur, pourrait peut-être donner à penser :

"Si les trois âges du concept sont l'encyclopédie, la pédagogie et la formation professionnelle commerciale, seul le second peut nous empêcher de tomber des sommets du premier dans le désastre absolu du troisième, désastre absolu pour la pensée, quels qu'en soient, bien entendu, les bénéfices sociaux du point de vue du capitalisme universel."

Voilà. J'espère que j'ai été super sympa. Mais avant de prendre congé, je tiens à vous féliciter : peu d'élèves de terminale se posent ce genre de questions, surtout avec autant de clarté. N'hésitez pas à reprendre contact pour me tenir au courant de vos aventures au pays de la pensée !


-: Amitiés :- P h i l i a.

Référence du message : ID 008






            


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